mercredi 11 novembre 2015

TROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE ?

TROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE ?
(Fragments d’une étude faite aux Journées nationales 2015 du Mouvement d’Action Rurale Protestant de Wanquetin – Pas-de-Calais)

(…) En fait, il importe de savoir où ladite « troisième révolution industrielle » pourrait nous mener et, surtout, quelle idéologie sous-tend son argumentation. 

            Mais d’abord qu’est ce que la « révolution industrielle » ? L’expression « révolution industrielle » fut, au XIXe siècle, « inventée » - je reprendrai des termes modernes pour préciser les positions politiques des uns et des autres - par le Français Adolphe Blanqui de tendance « droite libérale » (frère du « gauchiste » Auguste Blanqui) et popularisée par l’Allemand Friedrich Engels, ami de Marx, de tendance « gauche marxiste » et l’Anglais Arnold Toynbee de tendance « gauche sociale-démocrate ou libérale ». On peut estimer qu’il s’agit d’un passage économique et social dominants à un autre qui « révolutionne » le précédent ; par exemple, le passage de la société dominante agricole et artisanale vers une société commerciale (économie de marché) et industrielle.

Cette expression est donc fondamentalement d’origine européenne et il semble qu’elle fasse référence à la Révolution française, du moins dans son appellation. Cette expression sera contestée par certains historiens et économistes qui estiment que l’évolution fut lente ou très progressive. Pour prendre le seul exemple de la machine à vapeur, certaines recherches commencent dès l’Antiquité (1er s. de notre ère), se précisent dès les XVe, XVIe et XVIIe s. par de nombreux chercheurs européens tels Denis Papin (17ème s.) et James Watt (18ème s.), machine à vapeur qui fut mise aux oubliettes du XVIIIe jusqu’au début du XIXe siècle.

Une première révolution industrielle émergerait grâce à l’extraction charbonnière en (cokeries) et la machine à vapeur qui bénéficieraient au textile, au transport par bateaux et, par la suite, à la machine à vapeur et au début de la mécanisation agricole, inaugurant les possibilités intensives des cultures, et surtout à l’essor de la métallurgie. La Grande-Bretagne est le pays pionnier, suivi par l’Allemagne et par la France. Côté négatif : l’impérialisme. L’Angleterre sera le premier état colonialiste, la France le second.
           
Une seconde révolution industrielle émergerait grâce à l’électricité et le moteur électrique, puis grâce à l’extraction pétrolière et le moteur à combustion interne (ou moteur à explosion) permettant la construction automobile et la sidérurgie. Côté négatif : la constitution d’un prolétariat ouvrier et une désertification des campagnes. Problème : l’énergie nucléaire semble être laissée de côté. Or il s’agit ici d’une énergie d’une redoutable efficacité pour permettre des pas de géant en médecine ou en possibilité de propulsion et en production d’électricité. Mais aussi pour détruire massivement en un seul instant (bombe A ou H), sans oublier les déchets radioactifs qu’on est, pour l’instant, incapable de traiter.

            La troisième révolution industrielle serait la « révolution informatique » ouvrant sur internet, le microprocesseur, l’ordinateur de bureau, et permettant une « révolution de l’information ». Côté négatif : la hausse des inégalités culturelles, éducatives et sociales.

            Il faut ajouter que si le coke et la vapeur et leurs corollaires (transports et métallurgie), puis l’électricité et le pétrole et leurs corollaires (automobiles et sidérurgie), voire l’énergie nucléaire ont été exploités par les militaires en dernier ressort (après leur exploitation civile), internet a été exploité d’abord par les militaires. Les civils s’en sont emparés bien après. Quant à l’information, elle fait l’objet d’une science : ce n’est pas seulement « savoir ce qui se passe », mais pour cette science, l’information n’est pas un objet, elle est une relation et une action. Dès la fin du XIXe s., elle était liée à une recherche à visée industrielle et « au rêve d’un savoir planétaire » (Larousse et le dictionnaire). Aujourd’hui elle se définit aussi par son contenu et son symbole (langage binaire de l’informatique de deux valeurs conventionnelles 0 et 1 – entropie, etc…). Soulignons que les grands opérateurs sont américains et que la langue anglaise est un sésame obligatoire.

            Celui qui est reconnu comme le vulgarisateur actuel de l’expression « troisième révolution industrielle » s’appelle Jeremy Rifkin. Jeremy Rifkin est un économiste américain (ayant une maîtrise en affaires internationales), dont, il va sans dire, la pensée de type anglo-saxon est omniprésente dans son argumentation. On y retrouve le meilleur et le pire. Tout d’abord le meilleur : son opiniâtreté et ses prises de positions politiques contre la guerre du Vietnam. Puis le pire : comme tout bon américain, il possède une forte dose de culot qui s’apparente au messianisme (un peu à la manière d’un télévangéliste, ou d’un Billy Graham, évangéliste proche de la famille Bush). Mais il est vrai que les Etats-Unis se sont toujours posés, face au reste du monde, comme un peuple messianique, imposant leur impérialisme de manière plus ou moins brutale : l’influence « amicale et financière » envers ceux qui, un jour, seraient des femmes et des hommes (européens et asiatiques) ayant un avenir politique ou de décideur à « fort potentiel économique » (industrie, recherche, etc…), tout en n’ignorant pas la politique de la canonnière dont ils usent sans états d’âme. Aujourd’hui entouré d’une équipe efficace, Rifkin privilégie les accords bilatéraux à l’américaine avec les puissants : l’Allemande Angela Merkel, l’Espagnol José Zapatero, le Portugais José Socrates ; avec des villes et des régions pas trop pauvres : San Antonio au Texas, Rome, Monaco, la province d’Utrecht en Hollande et dernièrement la région Nord - Pas-de-Calais (2012) ou encore des décideurs économiques (banques et industriels). Il cultive ses réseaux en Europe représentés par des disciples fidèles.

De plus, blindé par un pragmatisme solide, il n’hésite pas à changer les règles politiques qui pourraient sous-tendre certains enjeux quand ça l’arrange : pour lui, pas de gauche ni de droite, tout est bon à prendre (voir ses excellentes relations avec Philippe Vasseur, ancien ministre de droite, proche d’Alain Madelin, qui milita pour passer des accords avec le Front National en Nord – Pas-de-Calais, aujourd’hui président de la Chambre de Commerce et d’Industrie et Daniel Percheron, « socialiste mollettiste », président de la région Nord - Pas-de-Calais). Ce n’est pas faire de l’antiaméricanisme primaire que de dire de Rifkin qu’il est un économiste libéral qui fascine nos ultra-libéraux, libéraux et sociaux-libéraux français pour lesquels il serait une sorte de gourou d’une religion dominante : la soi-disant « science » économique. Dans une économie mondialisée où règne la loi du plus fort, où les règles sont changées selon le jeu des puissances, où les effondrements massifs frappant les plus pauvres succèdent aux enrichissements éhontés d’une minorité, ou tricher est un sport international, j’ai beaucoup de mal à y retrouver une pensée ou une recherche scientifique. Je note (Rifkin ne fait pas partie du lot) que ce sont les mêmes économistes qui se sont trompés en n‘ayant pas vu venir le crash de 2008, n’ont pas soupçonné la tricherie des banques d’affaires et les escroqueries de haut vol et qui nous font toujours la leçon aujourd’hui en osant parler d’économie vertueuse, de frugalité, de sobriété dans leurs fréquentes apparitions médiatiques au long des émissions qu’ils ont colonisées tout en nous disant que le capitalisme est la seule voie possible.

            Rifkin part d’un constat simple que les écologistes et le Conseil Œcuménique des Eglises (toutes les églises chrétiennes moins l’Eglise Catholique) ont dénoncé depuis plusieurs décennies (depuis les années 1970 pour le COE, avec son programme « Justice, Paix et Sauvegarde de la Création » sous l’impulsion de l’Alliance Réformée Mondiale) : le fait que notre terre est limitée et que ses ressources ne sont pas inépuisables. Il est d’ailleurs significatif que le programme du COE lie intimement la justice et la paix à la sauvegarde de la création. Le terme de « création » étant plus d’ordre biblique ou théologique plutôt que rationnel ou scientifique. Quant à la conception de la troisième révolution industrielle, selon Rifkin, elle englobe l’environnement, l’économie, la culture, la société, entre autres, et veut répondre à la crise économique mondiale, la sécurité énergétique et le changement climatique. La troisième révolution industrielle selon Rifkin à été approuvée en 2007 par le Parlement Européen. C’est ce qui s’appelle être maître en récupération des idées.

            Retenons d’abord deux éléments de la pensée de Rifkin qui peuvent apparaître comme de la récupération pure et simple : 1) la rencontre entre l’économie de marché (système marchand/financier, compétitivité, actionnariat, foi/confiance, désengagement économique et social plus ou moins progressif de l’Etat pour ne pas « peser » sur l’essor d’une économie industrielle de plus en plus prédatrice) et l’économie de partage (qui apparaît, en fait, comme une économie collaborative sinon « collaboratrice ») rencontre qui serait le signe d’un changement fondamental du capitalisme ; 2) la conception du travail (l’homme comme variable d’ajustement économique rectifiée, l’ « uberisation » (de Uber, entreprise de mise en contact d’automobilistes) de la société, la privatisation de la protection sociale). Le travail, pour lui, doit être considéré comme valeur et source de cohésion sociale et de développement personnel ; à condition, bien entendu, que la société évolue à son égard. Il va sans dire que pour Rifkin (comme pour la majorité des économistes et des politiques occidentaux), il n’y a pas d’autre voie économique que le capitalisme ; le tout est de l’adapter à la situation.

Or la situation actuelle exige que l’on instaure un « nouveau contrat social » pour partager le travail existant (semaine de 30 h) et éviter « l’éclatement de l’ordre social ». Et puisque le secteur marchand semble de moins en moins capable de fournir de l’emploi, il faut créer un « tiers-secteur » non-marchand qui « occuperait » les chômeurs, une sorte d’économie sociale et solidaire. Le plein emploi étant de l’ordre du passé ou de nos jours de l’illusion (progrès technique et mondialisation), Rifkin propose que l’on instaure un revenu de base. Tout ceci n’est pas nouveau : Jean Fourastié, dès 1965, disait qu’au milieu du XXIe s. « il serait possible de ne travailler que 30 h par semaine, 40 semaines par an et 35 années par vie » (cf Marc Mousli in « Alternatives Economiques » du 14 février 2012). Et André Gorz quant à sa prise de position sur le revenu de base inconditionnel garanti, dès 1983. Mais il est vrai qu’ils ne sont pas Américains.

Autre élément important : le « partenariat » public/privé pour investir dans les grands projets, vrai appel à la spéculation et à la corruption. L’expérience en France montre que le public, donc le contribuable, est quasiment toujours perdant (voir les constructions pharaoniques qui engraissent les bétonneurs). Comme d’habitude les profits vont au privé et les déficits au public. Rifkin n’a pas l’air de s’en préoccuper outre mesure ; c’est l’un des principes de l’économie de marché qu’il ne semble pas avoir renié.

Ajoutons que les moyens terriblement efficaces de l’informatique et des moyens de communication alliés à une économie durable donc à la sobriété de la consommation devrait aboutir, dans les prochaines décennies à l’autoproduction énergétique (électricité, chauffage, etc…), pour aboutir à la gratuité des échanges et de la sécurité sociale, mais aussi la possibilité d’un « retraitement inépuisable » des déchets. C’est le « pouvoir latéral » qui est fondamentalement un pouvoir de transformation. Pour Rifkin, l’évolution vers ces moyens de production est irréversible sous peine d’un désastre écologique promis par un réchauffement climatique des plus destructeurs. Nous sommes donc à la croisée des chemins.

            Qu’en penser : c’est séduisant si on m’explique comment une économie de marché peut s’accommoder d’une économie de partage. Je n’ai jamais vu un actionnaire partager avec un écolo, sauf si l’écolo est lui-même actionnaire. Alors partager avec un sans-abri… En revanche, ce que je vois, ce sont les grands groupes industriels et les banques qui se précipitent opportunément sur la manne qui commence à être distribuée pour la mise en œuvre de cette « troisième révolution industrielle » dans la région. On a même créé un livret d’épargne (via le Crédit coopératif – BPCE et que Rifkin approuve sans réserve) pour que chacun puisse apporter son écot ; ça risque d’être juteux. Nous sommes loin du « pouvoir latéral ».

Etant de tempérament réformé calviniste, je ne pense pas que l’homme soit fondamentalement bon et lorsqu’il se retrouve en situation d’exercer le pouvoir, d’exploiter l’autre, d’amasser du fric rapidement et massivement, il a tendance à se  précipiter sur l’opportunité ; il appelle ça « profiter de l’occasion » en attendant de « tuer » sans hésiter celui qui l’a fait prince pour prendre sa place. Et à moins d’être d’une honnêteté absolue, confinant à la naïveté tout aussi absolue, il ne peut y avoir qu’une force collective capable d’analyser, de contrôler, de cadrer, voire de s’opposer et de combattre pour lui permettre de résister… Et encore…

            Pour ce qui est de l’économie de partage, il y eut des tentatives et des réussites (comme les associations d’entraide). Par exemple, le socialisme utopique français mit en place, entre autres, avec Fourier les phalanstères ou Godin les familistères, mais aussi le système coopératif (les COOP dans le Nord – Pas-de-Calais et les CCPM - coopérative centrale du personnel des mines - dans le Bassin Minier). Ajoutons que l’économie participative permit l’extension des SCOP (sociétés coopératives et participatives) et les reprises d’entreprises, et aussi les GAEC. Et aujourd’hui les coopératives citoyennes en Allemagne, au Danemark, en France (en Bretagne) où il est proposé un tout autre mode de vie que celui proposé par une société de consommation. Constatons que autant les grandes entreprises soutiennent le « projet Rifkin » aux revenus particulièrement juteux, autant elles combattent, jusqu’à vouloir les détruire, ces coopératives citoyennes qui proposent et vivent un modèle alternatif réunissant ingénieurs, paysans, ouvriers, enseignants ou autres et diverses activités et métiers lequel se passe très bien des exigences oppressives des grands groupes. Dans le fond, Rifkin s’adresse en priorité aux puissants et aux décideurs et les sociétés coopératives aux citoyens. (…)

Toutefois, il faut constater que certains systèmes associatifs et coopératifs furent passagers (phalanstères, familistère) ou vécurent (et vivent encore), malheureusement, quelques dérives : notamment, pour le système associatif, l’Association pour la Recherche contre le Cancer (affaire Crozemarie) et, pour le système coopératif, la fraude à la viande de cheval (Spanghero/Lur Berri). Et ne parlons pas des banques coopératives placées en bourse et ayant spéculé sur la dette grecque et les « subprimes ». (…)

Rien de nouveau sous Rifkin. Déjà, vers la fin du XIXe siècle, le Christianisme social instaura, dans les Mines, une assurance sociale, ancêtre de la Sécurité sociale, pour aider les veuves de mineurs et les mineurs licenciés après accident au fond dont le patronat se débarrassait en les précipitant dans la misère. Dans cette perspective, je ne peux faire autrement que citer la Fraternité de Liévin et son action, depuis 30 ans, pour l’enfance en difficulté et les jeunes adultes marginalisés dans une région (le Nord – Pas-de-Calais) où les effondrements sociaux et la pauvretés se sont installés sur une prospérité passée (mines, chimie, industrie). Personnellement, je ne vois pas de rapprochement possible entre l’exigence d’un « retour sur investissement » d’un actionnaire bénéficiaire d’une économie de marché et l’exigence de solidarité, fondement d’une économie de partage. (…) Toutefois, il faut reconnaître que les Chrétiens, dans toute leur diversité, sont très attentifs à la situation qui est la nôtre aujourd’hui, n’hésitent pas à tirer la sonnette d’alarme et proposent des alternatives construites, crédibles et souvent très efficaces en agissant pour que notre monde n’aille pas à sa destruction et que les plus forts n’écrasent pas les plus faibles sans vergogne.

Tout cela pour dire que Rifkin n’a rien inventé mais beaucoup récupéré et que je serais plus confiant en des associations (ou des églises qui ont permis et aidé des associations) combattant et oeuvrant pour la justice sociale, la paix universelle et la sauvegarde de la création (Armée du Salut, Christianisme Social, MAR, Equipes ouvrières protestantes, Mission populaire, Entraide protestante, Secours catholique, Mouvement Emmaüs, Action contre la faim, etc…)  Pourquoi allons nous chercher ailleurs ce que nos chercheurs, nos penseurs, nos théologiens, nos associations ont découvert, mis en lumière ou accompli depuis longtemps ou permettent de mettre en place d’une société alternative qui ne croit pas qu’EDF ou Engie sont économiquement incontournables. Les solidarités sont d’abord locales, même s’il faut parfois des échanges nationaux ou internationaux pour progresser. Les solidarités n’ont jamais été à l’ordre du jour de la mondialisation, plus préoccupée de compétition, d’élites, de décideurs. Bref ce que nous propose Rifkin est d’un autre monde et ne concernera que peu d’individus. La grande majorité restera sur le bord de la route. Mais pour revenir à notre terre, c’est cette terre-là que nous avons le devoir de sauvegarder en recherchant toujours la justice et la paix. Or je suis convaincu que les puissants, les décideurs, les gagneurs et les actionnaires des grandes entreprises, tous maîtres en prédation, ne seront jamais un exemple en la matière. À nous de savoir choisir notre camp.

(Jeremy Rifkin : « La troisième révolution industrielle – Comment un pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. » (résumé)Documentation consultée sur Internet – Wikipédia, écrits et interventions de J. Rifkin et ses disciples français, journaux divers (ex. « Libération », « Alternatives économiques »), Médiapart, informations Région Nord – Pas-de-Calais,  COE et FPF,  etc…, sauf la recherche biblique et théologique et les positions politiques et sociales).


Jean-Jacques Demouveaux (octobre 2015).

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