TROISIEME REVOLUTION INDUSTRIELLE ?
(Fragments d’une étude faite aux
Journées nationales 2015 du Mouvement d’Action Rurale Protestant de Wanquetin –
Pas-de-Calais)
(…) En
fait, il importe de savoir où ladite « troisième révolution
industrielle » pourrait nous mener et, surtout, quelle idéologie sous-tend
son argumentation.
Mais
d’abord qu’est ce que la « révolution
industrielle » ? L’expression « révolution
industrielle » fut, au XIXe siècle, « inventée » - je reprendrai
des termes modernes pour préciser les positions politiques des uns et des
autres - par le Français Adolphe Blanqui de tendance « droite
libérale » (frère du « gauchiste » Auguste Blanqui) et
popularisée par l’Allemand Friedrich Engels, ami de Marx, de tendance « gauche
marxiste » et l’Anglais Arnold Toynbee de tendance « gauche
sociale-démocrate ou libérale ». On peut estimer qu’il s’agit d’un passage
économique et social dominants à un autre qui « révolutionne » le
précédent ; par exemple, le passage de la société dominante agricole et artisanale
vers une société commerciale (économie de marché) et industrielle.
Cette
expression est donc fondamentalement d’origine européenne et il semble qu’elle
fasse référence à la Révolution française, du moins dans son appellation. Cette
expression sera contestée par certains historiens et économistes qui estiment
que l’évolution fut lente ou très progressive. Pour prendre le seul exemple de
la machine à vapeur, certaines recherches commencent dès l’Antiquité (1er s. de
notre ère), se précisent dès les XVe, XVIe et XVIIe s. par de nombreux
chercheurs européens tels Denis Papin (17ème s.) et James Watt (18ème
s.), machine à vapeur qui fut mise aux oubliettes du XVIIIe jusqu’au début du
XIXe siècle.
Une
première révolution industrielle émergerait grâce à l’extraction charbonnière
en (cokeries) et la machine à vapeur qui bénéficieraient au textile, au
transport par bateaux et, par la suite, à la machine à vapeur et au début de la
mécanisation agricole, inaugurant les possibilités intensives des cultures, et
surtout à l’essor de la métallurgie. La Grande-Bretagne est le pays pionnier,
suivi par l’Allemagne et par la France. Côté négatif : l’impérialisme.
L’Angleterre sera le premier état colonialiste, la France le second.
Une
seconde révolution industrielle émergerait grâce à l’électricité et le moteur
électrique, puis grâce à l’extraction pétrolière et le moteur à combustion
interne (ou moteur à explosion) permettant la construction automobile et la
sidérurgie. Côté négatif : la constitution d’un prolétariat ouvrier et une
désertification des campagnes. Problème : l’énergie nucléaire semble être
laissée de côté. Or il s’agit ici d’une énergie d’une redoutable efficacité
pour permettre des pas de géant en médecine ou en possibilité de propulsion et
en production d’électricité. Mais aussi pour détruire massivement en un seul
instant (bombe A ou H), sans oublier les déchets radioactifs qu’on est, pour
l’instant, incapable de traiter.
La
troisième révolution industrielle serait la « révolution
informatique » ouvrant sur internet, le microprocesseur, l’ordinateur de
bureau, et permettant une « révolution de l’information ». Côté
négatif : la hausse des inégalités culturelles, éducatives et sociales.
Il
faut ajouter que si le coke et la vapeur et leurs corollaires (transports et
métallurgie), puis l’électricité et le pétrole et leurs corollaires
(automobiles et sidérurgie), voire l’énergie nucléaire ont été exploités par
les militaires en dernier ressort (après leur exploitation civile), internet a
été exploité d’abord par les militaires. Les civils s’en sont emparés bien
après. Quant à l’information, elle fait l’objet d’une science : ce n’est
pas seulement « savoir ce qui se passe », mais pour cette science,
l’information n’est pas un objet, elle est une relation et une action. Dès la
fin du XIXe s., elle était liée à une recherche à visée industrielle et
« au rêve d’un savoir planétaire » (Larousse et le dictionnaire).
Aujourd’hui elle se définit aussi par son contenu et son symbole (langage binaire
de l’informatique de deux valeurs conventionnelles 0 et 1 – entropie, etc…).
Soulignons que les grands opérateurs sont américains et que la langue anglaise
est un sésame obligatoire.
Celui
qui est reconnu comme le vulgarisateur actuel de l’expression « troisième révolution
industrielle » s’appelle Jeremy Rifkin. Jeremy Rifkin est un
économiste américain (ayant une maîtrise en affaires internationales), dont, il
va sans dire, la pensée de type anglo-saxon est omniprésente dans son
argumentation. On y retrouve le meilleur et le pire. Tout d’abord le
meilleur : son opiniâtreté et ses prises de positions politiques contre la
guerre du Vietnam. Puis le pire : comme tout bon américain, il possède une
forte dose de culot qui s’apparente au messianisme (un peu à la manière d’un
télévangéliste, ou d’un Billy Graham, évangéliste proche de la famille Bush).
Mais il est vrai que les Etats-Unis se sont toujours posés, face au reste du
monde, comme un peuple messianique, imposant leur impérialisme de manière plus
ou moins brutale : l’influence « amicale et financière » envers
ceux qui, un jour, seraient des femmes et des hommes (européens et asiatiques)
ayant un avenir politique ou de décideur à « fort potentiel économique »
(industrie, recherche, etc…), tout en n’ignorant pas la politique de la
canonnière dont ils usent sans états d’âme. Aujourd’hui entouré d’une équipe
efficace, Rifkin privilégie les accords bilatéraux à l’américaine avec les
puissants : l’Allemande Angela Merkel, l’Espagnol José Zapatero, le
Portugais José Socrates ; avec des villes et des régions pas trop
pauvres : San Antonio au Texas, Rome, Monaco, la province d’Utrecht en
Hollande et dernièrement la région Nord - Pas-de-Calais (2012) ou encore des
décideurs économiques (banques et industriels). Il cultive ses réseaux en
Europe représentés par des disciples fidèles.
De plus,
blindé par un pragmatisme solide, il n’hésite pas à changer les règles politiques qui
pourraient sous-tendre certains enjeux quand ça l’arrange : pour lui, pas
de gauche ni de droite, tout est bon à prendre (voir ses excellentes
relations avec Philippe Vasseur, ancien ministre de droite, proche d’Alain
Madelin, qui milita pour passer des accords avec le Front National en Nord –
Pas-de-Calais, aujourd’hui président de la Chambre de Commerce et d’Industrie
et Daniel Percheron, « socialiste mollettiste », président de la
région Nord - Pas-de-Calais). Ce n’est pas faire de l’antiaméricanisme primaire
que de dire de Rifkin qu’il est un économiste libéral qui fascine nos
ultra-libéraux, libéraux et sociaux-libéraux français pour lesquels il serait
une sorte de gourou d’une religion dominante : la soi-disant
« science » économique. Dans une économie mondialisée où règne la loi
du plus fort, où les règles sont changées selon le jeu des puissances, où les
effondrements massifs frappant les plus pauvres succèdent aux enrichissements
éhontés d’une minorité, ou tricher est un sport international, j’ai beaucoup de
mal à y retrouver une pensée ou une recherche scientifique. Je note (Rifkin ne
fait pas partie du lot) que ce sont les mêmes économistes qui se sont trompés
en n‘ayant pas vu venir le crash de 2008, n’ont pas soupçonné la tricherie des
banques d’affaires et les escroqueries de haut vol et qui nous font toujours la
leçon aujourd’hui en osant parler d’économie vertueuse, de frugalité, de
sobriété dans leurs fréquentes apparitions médiatiques au long des émissions
qu’ils ont colonisées tout en nous disant que le capitalisme est la seule voie
possible.
Rifkin
part d’un constat simple que les écologistes et le Conseil Œcuménique des
Eglises (toutes les églises chrétiennes moins l’Eglise Catholique) ont dénoncé
depuis plusieurs décennies (depuis les années 1970 pour le COE, avec son
programme « Justice, Paix et Sauvegarde de la Création » sous
l’impulsion de l’Alliance Réformée Mondiale) : le fait que notre terre est
limitée et que ses ressources ne sont pas inépuisables. Il est d’ailleurs
significatif que le programme du COE lie intimement la justice et la paix à la
sauvegarde de la création. Le terme de « création » étant plus
d’ordre biblique ou théologique plutôt que rationnel ou scientifique. Quant à
la conception de la troisième révolution industrielle, selon Rifkin, elle
englobe l’environnement, l’économie, la culture, la société, entre autres, et
veut répondre à la crise économique mondiale, la sécurité énergétique et le
changement climatique. La troisième révolution industrielle selon Rifkin à été
approuvée en 2007 par le Parlement Européen. C’est ce qui s’appelle être maître
en récupération des idées.
Retenons
d’abord deux éléments de la pensée de Rifkin qui peuvent apparaître comme de la
récupération pure et simple : 1) la rencontre entre l’économie de marché
(système marchand/financier, compétitivité, actionnariat, foi/confiance,
désengagement économique et social plus ou moins progressif de l’Etat pour ne
pas « peser » sur l’essor d’une économie industrielle de plus en plus
prédatrice) et l’économie de partage (qui apparaît, en fait, comme une économie
collaborative sinon « collaboratrice ») rencontre qui serait le signe
d’un changement fondamental du capitalisme ; 2) la conception du travail
(l’homme comme variable d’ajustement économique rectifiée, l’
« uberisation » (de Uber, entreprise de mise en contact
d’automobilistes) de la société, la privatisation de la protection sociale). Le
travail, pour lui, doit être considéré comme valeur et source de cohésion
sociale et de développement personnel ; à condition, bien entendu, que la
société évolue à son égard. Il va sans dire que pour Rifkin (comme pour la
majorité des économistes et des politiques occidentaux), il n’y a pas d’autre
voie économique que le capitalisme ; le tout est de l’adapter à la
situation.
Or la
situation actuelle exige que l’on instaure un « nouveau contrat
social » pour partager le travail existant (semaine de 30 h) et éviter
« l’éclatement de l’ordre social ». Et puisque le secteur marchand
semble de moins en moins capable de fournir de l’emploi, il faut créer un
« tiers-secteur » non-marchand qui « occuperait » les
chômeurs, une sorte d’économie sociale et solidaire. Le plein emploi étant de
l’ordre du passé ou de nos jours de l’illusion (progrès technique et
mondialisation), Rifkin propose que l’on instaure un revenu de base. Tout ceci
n’est pas nouveau : Jean Fourastié, dès 1965, disait qu’au milieu du XXIe
s. « il serait possible de ne travailler que 30 h par semaine, 40 semaines
par an et 35 années par vie » (cf Marc Mousli in
« Alternatives Economiques » du 14 février 2012). Et André Gorz quant
à sa prise de position sur le revenu de base inconditionnel garanti, dès 1983.
Mais il est vrai qu’ils ne sont pas Américains.
Autre
élément important : le « partenariat » public/privé pour
investir dans les grands projets, vrai appel à la spéculation et à la
corruption. L’expérience en France montre que le public, donc le contribuable,
est quasiment toujours perdant (voir les constructions pharaoniques qui
engraissent les bétonneurs). Comme d’habitude les profits vont au privé et les
déficits au public. Rifkin n’a pas l’air de s’en préoccuper outre mesure ;
c’est l’un des principes de l’économie de marché qu’il ne semble pas avoir
renié.
Ajoutons
que les moyens terriblement efficaces de l’informatique et des moyens de
communication alliés à une économie durable donc à la sobriété de la
consommation devrait aboutir, dans les prochaines décennies à l’autoproduction
énergétique (électricité, chauffage, etc…), pour aboutir à la gratuité des
échanges et de la sécurité sociale, mais aussi la possibilité d’un
« retraitement inépuisable » des déchets. C’est le « pouvoir
latéral » qui est fondamentalement un pouvoir de transformation. Pour
Rifkin, l’évolution vers ces moyens de production est irréversible sous peine
d’un désastre écologique promis par un réchauffement climatique des plus destructeurs.
Nous sommes donc à la croisée des chemins.
Qu’en
penser : c’est séduisant si on m’explique comment une économie de marché
peut s’accommoder d’une économie de partage. Je n’ai jamais vu un actionnaire
partager avec un écolo, sauf si l’écolo est lui-même actionnaire. Alors
partager avec un sans-abri… En revanche, ce que je vois, ce sont les grands
groupes industriels et les banques qui se précipitent opportunément sur la
manne qui commence à être distribuée pour la mise en œuvre de cette « troisième
révolution industrielle » dans la région. On a même créé un livret
d’épargne (via le Crédit coopératif – BPCE et que Rifkin approuve sans réserve)
pour que chacun puisse apporter son écot ; ça risque d’être juteux. Nous
sommes loin du « pouvoir latéral ».
Etant de
tempérament réformé calviniste, je ne pense pas que l’homme soit
fondamentalement bon et lorsqu’il se retrouve en situation d’exercer le
pouvoir, d’exploiter l’autre, d’amasser du fric rapidement et massivement, il a
tendance à se précipiter sur
l’opportunité ; il appelle ça « profiter de l’occasion » en
attendant de « tuer » sans hésiter celui qui l’a fait prince pour
prendre sa place. Et à moins d’être d’une honnêteté absolue, confinant à la
naïveté tout aussi absolue, il ne peut y avoir qu’une force collective capable
d’analyser, de contrôler, de cadrer, voire de s’opposer et de combattre pour
lui permettre de résister… Et encore…
Pour
ce qui est de l’économie de partage, il y eut des tentatives et des réussites
(comme les associations d’entraide). Par exemple, le socialisme utopique
français mit en place, entre autres, avec Fourier les phalanstères ou Godin les
familistères, mais aussi le système coopératif (les COOP dans le Nord –
Pas-de-Calais et les CCPM - coopérative centrale du personnel des mines - dans
le Bassin Minier). Ajoutons que l’économie participative permit l’extension des
SCOP (sociétés coopératives et participatives) et les reprises d’entreprises,
et aussi les GAEC. Et aujourd’hui les coopératives citoyennes en Allemagne, au
Danemark, en France (en Bretagne) où il est proposé un tout autre mode de vie
que celui proposé par une société de consommation. Constatons que autant les
grandes entreprises soutiennent le « projet Rifkin » aux revenus
particulièrement juteux, autant elles combattent, jusqu’à vouloir les détruire,
ces coopératives citoyennes qui proposent et vivent un modèle alternatif
réunissant ingénieurs, paysans, ouvriers, enseignants ou autres et diverses
activités et métiers lequel se passe très bien des exigences oppressives des
grands groupes. Dans le fond, Rifkin s’adresse en priorité aux puissants et aux
décideurs et les sociétés coopératives aux citoyens. (…)
Toutefois,
il faut constater que certains systèmes associatifs et coopératifs furent
passagers (phalanstères, familistère) ou vécurent (et vivent encore),
malheureusement, quelques dérives : notamment, pour le système associatif,
l’Association pour la Recherche contre le Cancer (affaire Crozemarie) et, pour
le système coopératif, la fraude à la viande de cheval (Spanghero/Lur Berri).
Et ne parlons pas des banques coopératives placées en bourse et ayant spéculé
sur la dette grecque et les « subprimes ». (…)
Rien de
nouveau sous Rifkin. Déjà, vers la fin du XIXe siècle, le Christianisme social
instaura, dans les Mines, une assurance sociale, ancêtre de la Sécurité
sociale, pour aider les veuves de mineurs et les mineurs licenciés après
accident au fond dont le patronat se débarrassait en les précipitant dans la
misère. Dans cette perspective, je ne peux faire autrement que citer la
Fraternité de Liévin et son action, depuis 30 ans, pour l’enfance en difficulté
et les jeunes adultes marginalisés dans une région (le Nord – Pas-de-Calais) où
les effondrements sociaux et la pauvretés se sont installés sur une prospérité
passée (mines, chimie, industrie). Personnellement, je ne vois pas de
rapprochement possible entre l’exigence d’un « retour sur
investissement » d’un actionnaire bénéficiaire d’une économie de marché et
l’exigence de solidarité, fondement d’une économie de partage. (…) Toutefois,
il faut reconnaître que les Chrétiens, dans toute leur diversité, sont très
attentifs à la situation qui est la nôtre aujourd’hui, n’hésitent pas à tirer
la sonnette d’alarme et proposent des alternatives construites, crédibles et
souvent très efficaces en agissant pour que notre monde n’aille pas à sa
destruction et que les plus forts n’écrasent pas les plus faibles sans
vergogne.
Tout cela
pour dire que Rifkin n’a rien inventé mais beaucoup récupéré et que je serais plus
confiant en des associations (ou des églises qui ont permis et aidé des
associations) combattant et oeuvrant pour la justice sociale, la paix
universelle et la sauvegarde de la création (Armée du Salut, Christianisme
Social, MAR, Equipes ouvrières protestantes, Mission populaire, Entraide
protestante, Secours catholique, Mouvement Emmaüs, Action contre la faim,
etc…) Pourquoi allons nous chercher
ailleurs ce que nos chercheurs, nos penseurs, nos théologiens, nos associations
ont découvert, mis en lumière ou accompli depuis longtemps ou permettent de
mettre en place d’une société alternative qui ne croit pas qu’EDF ou Engie sont
économiquement incontournables. Les solidarités sont d’abord locales, même s’il
faut parfois des échanges nationaux ou internationaux pour progresser. Les
solidarités n’ont jamais été à l’ordre du jour de la mondialisation, plus
préoccupée de compétition, d’élites, de décideurs. Bref ce que nous propose
Rifkin est d’un autre monde et ne concernera que peu d’individus. La grande majorité
restera sur le bord de la route. Mais pour revenir à notre terre, c’est cette terre-là
que nous avons le devoir de sauvegarder en recherchant toujours la justice et
la paix. Or je suis convaincu que les puissants, les décideurs, les gagneurs et
les actionnaires des grandes entreprises, tous maîtres en prédation, ne seront
jamais un exemple en la matière. À nous de savoir choisir notre camp.
(Jeremy
Rifkin : « La troisième révolution industrielle – Comment un pouvoir
latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde. » (résumé)Documentation
consultée sur Internet – Wikipédia, écrits et interventions de J. Rifkin et ses
disciples français, journaux divers (ex. « Libération »,
« Alternatives économiques »), Médiapart, informations Région Nord – Pas-de-Calais, COE et FPF,
etc…, sauf la recherche biblique et théologique et les positions
politiques et sociales).
Jean-Jacques Demouveaux (octobre
2015).
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