mardi 25 août 2015

- LAÏCITÉ ET VALEURS CHRÉTIENNES;

LAICITE ET VALEURS CHRETIENNES.


          L'une des nombreuses questions posées : Y a-t-il une concordance, une opposition ou une complémentarité entre laïcité et valeurs chrétiennes - et plus particulièrement les protestantes ? L'essai de réponse à cette question, qui survole la conception de la laïcité issue de la Révolution Française et son expression idéologique, a fait l'objet d'une étude parue dans le journal de la Mission Populaire Evangélique de France et de Soleil et Santé, "Présence". A ces deux approches (conception de la laïcité et expression idéologique), j'avais joint la prise en compte du fait associatif (notamment dans ses aspects cultuel, Loi de 1905, et culturel, Loi de 1901). Je la délaisserai aujourd'hui.

          Cette étude devait permettre le débat, lors d'une AG de Soleil et Santé, à la suite d'incidents, parfois vifs, entre des jeunes gens de confession islamique et d'autres sans confession religieuse déterminée lors de sessions de centres de vacances ("échanges" entre animateurs principalement) ou lors de camps d'adolescents - notamment lors d'un camp de ski (question du respect du ramadan et de la viande hallal).

           A mon avis cette étude me semble toujours d'actualité, dans la mesure où je pense que la laïcité est l'un des enjeux majeurs actuels en France. (Les dernières manifestations de 2014 et 2015 contre le mariage pour tous prouvent que, depuis 1997, voire depuis la Révolution française, la digestion se fait très mal pour certains). Je ne veux pas seulement parler des intégrismes chrétiens et islamiques qui considèrent la laïcité comme une hérésie ; je veux surtout parler d'une conception, qui paraît très libérale, de la "laïcité ouverte" (à laquelle on peut adjoindre la "laïcité positive" de Sarkozy, lors de son mémorable discours du Latran de 2007), et qui ferait entrer par la fenêtre une reconnaissance des religions par l'Etat que ce dernier avait mises à la porte du pouvoir civil (en visant surtout le catholicisme) par sa Loi de 1905, loi dite de "séparation de l'Eglise et de l'Etat". Parmi ceux qui sont le fer de lance de cette conception de la "laïcité ouverte", on reconnaît, bien sûr, le catholicisme, mais aussi des sectes comme la Scientologie, les Témoins de Jéhova ; auxquels se joignent de manière étonnante des intellectuels et des hommes politiques qu'on ne peut soupçonner de visées totalitaires, mais dont les idées d'ouverture et de tolérance confinent à la naïveté idéologique.

     La laïcité.

          La France est constitutionnellement une démocratie républicaine. Elle s'inscrit, en droit, dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC). Elle a, de plus, la particularité d'être le seul Etat de la Communauté Européenne à revendiquer constitutionnellement la laïcité. (La laïcité n'est pas inscrite dans la DDHC qui se place, en préambule, "sous les auspices de l'Etre Suprême". Il faudra attendre la Constitution de 1946 pour que la République soit "constitutionnellement laïque").

          Par la laïcité il faut entendre non pas la tolérance des religions et des pensées, dans la mesure où elle ne porte pas atteinte à l'intégrité du fait républicain, mais le droit du citoyen à exprimer sa pensée ou sa religion. Ce droit peut faire appel à un autre droit, s'il est menacé, celui de résistance à l'oppression (art. II de la DDHC). La laïcité n'existe donc pas du fait abstrait de la tolérance des religions et des pensées, mais elle existe du fait concret de l'existence et de l'expression du citoyen, puisque l'ensemble des citoyens forme la nation.

          Ce qui veut dire que la République Française reconnaît au citoyen l'exercice du culte, mais ne reconnaît pas l'appartenance du citoyen au culte. C'est là une différence fondamentale qui existe entre la République Française et une République Islamique. Le culte n'est pas premier : il n'a pas d'existence par lui-même puisque Dieu ne détermine pas la vie de la nation ; il n'existe que parce qu'existe le citoyen. La République reconnaît d'abord le citoyen de par le fait essentiel de liberté et d'égalité en droit qui lui est acquis par naissance. Droit qui n'a de valeur que dans le cadre de la nation.

          Si nous allons jusqu'au bout de la logique, on peut dire que la République ne reconnaît pas les cultes ou les religions, mais reconnaît les citoyens qui exercent des cultes, parce qu'ils sont, en droit, libres de les exercer et égaux dans l'exercice qu'ils en font. Cette logique nous fait comprendre qu'il est extrêmement délicat de légiférer contre l'idéologie des sectes, dans la mesure où 1) elles ne contreviennent pas aux lois de la République Française et où 2) leurs adeptes affirment toujours exercer leur liberté d'expression de citoyen à travers une entité religieuse.

          Il n'existe donc pas de primauté de telle religion sur telle autre ou de telle pensée sur telle autre. Il n'y a pas de religion de la majorité des Français ; il n'y a pas, c'est évident, de religion(s) d'Etat.

         Pour une société laïcisé, Dieu est de l'ordre du domaine privé et de la conscience. Dieu est exclu des organes de gouvernement et de décisions. Le citoyen peut croire que Dieu dirige la société, mais cette croyance, cette foi ne doit en aucun cas se généraliser à l'ensemble social constitué des autres citoyens. Pour une société laïcisé, la foi est d'ordre privé et du domaine de la liberté de conscience individuelle, et la raison qui détermine toute loi républicaine est d'ordre public et du domaine de la liberté qui fonde la cohésion sociale, laquelle est bien entendu une réalité collective.

           Cette manière de concevoir la laïcité, issue idéologiquement de la Révolution Française, est actuellement contestée par deux approches radicalement opposées : 1) une approche religieuse intégriste (catholique, protestante ou islamiste) qui considère la laïcité comme un "péché" ou une "hérésie" et 2) une approche libérale (dans un sens éthique) éclairée qui - reprochant à la conception laïque actuelle son intransigeance, voire son sectarisme - voudrait qu'elle soit avant tout synonyme de "tolérance". Cette approche en appelle à une "laïcité ouverte" qui reconnaisse l'expression de toutes les religions dans le "domaine réservé" de la puissance publique. L'école serait la première concernée par cette expression.

        Si la première approche risque de heurter par son radicalisme et de faire lever les oppositions, la seconde semble emporter quelque adhésion, par sa "mesure" et son "équilibre" apparents. De toute manière, le débat est loin d'être clôt et ce n'est pas peu dire que la laïcité est l'un des enjeux de cette fin de siècle.
     L'aspect idéologique.

         Par idéologie j'entends la définition suivante : "L'idéologie, même comprise au sens large, implique, de par sa constitution, l'existence d'un pouvoir central de décision et permanent, d'un ordre politique ordonnant et légiférant pour la collectivité : elle suppose quelque chose comme un Etat. Elle est un effet, décalé, déformé, remanié, le plus souvent, de ce pouvoir ; elle s'empare volontiers des données légendaire et du fonds imaginaire de la société ; elle construit des "mythologies"." (Voir Les Idéologies, Tome 1, sous la direction de F. CHATELET et G. MAIRET, chez Nouvelles Editions Marabout - Verviers (Belgique) 1981 - p. 14).

          Ainsi dans le cadre de cette définition critique, notre réflexion idéologique s'enracinera, que nous le voulions ou non, dans un ordre politique ordonnant et légiférant pour la collectivité et supposant un Etat. En définissant le cadre de notre réflexion et de notre action à travers la laïcité et le fait associatif nous sommes en plein dans l'idéologie. Or cette idéologie suppose l'existence d'un pouvoir central qui garantisse l'expression de la laïcité et du fait associatif. Que nous acceptions ou que nous refusions l'expression actuelle de la laïcité ; que nous acceptions ou que nous refusions la pertinence du fait associatif, c'est par rapport à ce pouvoir et cet ordre politique qui légifère pour la collectivité qu'il faudra nous situer. Et ce pouvoir central, cet ordre politique ordonnant et légiférant pour la collectivité, bref cet Etat est la République Française.

          La question essentielle est donc de savoir si une religion ou une philosophie accepte cette tutelle. Si elle refuse ce cadre idéologique et qu'elle affirme s'enraciner dans un autre cadre idéologique, alors elle présuppose un autre pouvoir, un autre ordre politique ordonnant et légiférant pour la collectivité, bref un autre Etat.

          Exemple, à la fin du XIXe siècle, au moment de l'Affaire Dreyfus, l'Eglise Catholique Romaine - suivant en cela les ordres du Pape - refusait de reconnaître la République Française qui s'acheminait, à travers des luttes extrêmement dures, vers la laïcité. Cette Eglise appelait ouvertement à la désobéissance civique, voire la désobéissance civile. Le catholique qui suivait les ordres de son Eglise acceptait le cadre du pouvoir, de l'ordre politique ordonnant et légiférant pour la collectivité, bref de l'Etat du Vatican. Il en va de même de l'Islam dès lors qu'il considère la laïcité comme une impiété ou une hérésie et qu'il n'accepte les associations que dans une conception exclusivement religieuse. Les adeptes d'un tel Islam obéissent à un autre pouvoir, à un autre ordre politique ordonnant et légiférant pour la collectivité des vrais croyants, bref ils obéissent à un autre Etat. Il s'agit donc, dans ce cas, d'une idéologie qui sera en opposition à la République Française et qui tentera de déstabiliser toute conception idéologique s'inscrivant dans le cadre de cette République. Et parmi les conceptions qui s'expriment à l'intérieur de cette République, s'il y en a marquées politiquement à droite, il y en a aussi, hélas !, marquées à gauche.

          C'est donc dans les déterminations de l'ordre politique de la laïcité et du fait associatif qui ont été l'objet de lois extrêmement précises que nous pouvons développer l'originalité d'une conception idéologique, elle même enracinée dans l'idéologie de la citoyenneté propre à la République Française, une, indivisible et laïque. On le voit, à travers de tels concepts pourront se développer des mythologies - certains parlent de mythes fondateurs (Sorel) - qui se développeront dans les notions d'unité nationale, de peuple souverain, de liberté, d'égalité, de fraternité.

          Or les mythologies sont le fruit de l'imagination collective et permettent la mise en route d'actions tout aussi collectives qui peuvent être destructrices (le nazisme, les fascismes, voire les religions) ou constructives (la solidarité à travers l'école, la protection sociale, mais aussi la liberté de conscience, l'égalité des droits, l'éducation populaire). Ces mythologies permettent la mise en place imaginative de mécanismes de défense des acquis sociaux et politiques et de contre-pouvoirs. Sans la puissance de ces mythes, il n'y aurait pas eu des millions de personnes descendant dans la rue pour défendre la laïcité et les services publics.

          Voilà le cadre dans lequel peut et doit se développer notre réflexion. Ce n'est pas notre origine protestante qui est ici déterminante, c'est ce qui est dit plus haut. L'origine protestante est l'une de ses originalités mythiques et à ce titre, elle peut développer des mécanismes de défense institutionnels (cohérence associative, liberté de conscience et d'opinion, éthique associative au niveau des centres de vacances, tout cela développé au niveau du projet éducatif et des moyens qu'on se donne pour l'appliquer au niveau pédagogique).

     Conclusion-explication.

          Je voudrais ici conclure et m'impliquer. Quand je disais précédement : "Ce n'est pas notre origine protestante qui est ici déterminante, c'est ce qui est dit plus haut." C'est-à-dire le fondement de la CITOYENNETE dans les notions de REPUBLIQUE et de LAICITE qui me semble essentiel comme garant de nos idéologies protestantes.

         Pourquoi ? Parce que si nous nous référions à la seule conception Protestante (Luthérienne ou Réformée) de notre enracinement, nous ne faisons pas le poids.

          Soyons clairs :

          - Le Catholicisme Romain se réfère à un Etat (le Vatican) et des lois (le Droit Canon).

          - L'Islam se réfère à des Etats (l'Arabie Saoudite, la Jordanie, le Maroc, l'Iran) et des lois issues du Coran (la Charia, etc...).

          - Le Judaïsme se réfère très souvent à l'Etat d'Israël et à des lois qu'imposent les rabbins (la Tora, le Talmud...)

          - Le Protestantisme n'a aucun Etat de référence. Il peut être "religion d'Etat" mais n'est pas "Etat religieux". Sa seule référence est un livre : la Bible.

          Or le Protestantisme français est soumis à la Loi de séparation des Cultes et de l'Etat. Donc ce Protestantisme qui n'a aucun Etat de référence s'attachera aux lois de l'Etat qui garantira son existence : la République Française et sa Constitution laïque ; car l'histoire a, hélas !, montré que la liberté de conscience pouvait être mise à mal par un Etat se réclamant d'une religion (le dernier en date fut l'Etat pétainiste de Vichy).

          Dans le fond, il ne faut pas nous en vouloir. Nous avons toujours défendu le principe de la liberté de conscience, à la seule condition que nous puissions tous en jouir.

Jean-Jacques DEMOUVEAUX.
                                                                                          (27 septembre 1997; ajouts 25 août 2015)






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