LAÏCITE ET BURQA.
Y
a-t-il une concordance, une opposition ou une complémentarité entre laïcité et
valeurs religieuses, ou plus précisément valeurs chrétiennes - et plus
particulièrement, nous concernant, valeurs protestantes ? Le problème posé
par l’interdiction, dans l’espace public,
de la burqa pose de nouveau cette question. Car s’il ne fait aucun doute que
derrière cette loi se cachent, pour certains, des motifs peu avouables
(racisme, discrimination, xénophobie) qui font les choux gras du Front national,
il ne fait aussi aucun doute que, idéologiquement, la burqa refuse toute
expression de la personnalité aux femmes, leur nie toute égalité avec l’homme,
bref, la rejette dans une existence humiliante. A mon avis, l’exhibition de la
burqa dans l’espace public, par ce qu’elle suppose religieusement et
socialement, est une offense à la liberté de conscience protestante et à la
laïcité qui affirme l’égalité entre tous les citoyens. La question est de
savoir s’il était utile de légiférer spécifiquement pour ce cas , ou si
l’arsenal juridique existant suffisait à en limiter la portée symbolique,
sociale et politique. Mais aujourd’hui, il semble que ce soit plus d’actualité.
Sur le plan politique, le
sénateur PS Robert Badinter - qui a voté le projet de loi contre le port de la
burqa (séance au Sénat du 14/09/2010) – estime que « nous
sommes en présence de deux visions des droits de l’homme et nous vivons l’un
des affrontements idéologiques les plus durs que nous ayons connus depuis les
années de guerre froide » et qu’ « il est des principes avec
lesquels nous ne pouvons transiger, à savoir le principe fondamental,
presque primordial, de l’égalité entre hommes et femmes ». Il
conclut son intervention ainsi : « Ce n’est pas une dragonnade ou
une inquisition ! (…) En interdisant
le port du voile dans l’espace public, vous n’empêchez pas celles qui le
veulent de pratiquer leur religion, mais vous ne tolérez pas que les éléments
les plus intégristes et les plus fanatiques affichent et proclament leur
vision, que nous ne pouvons accepter, d’une société où les femmes disparaissent
de l’espace public et ne sont plus que des fantômes. » Pour Robert
Badinter, la laïcité, défendue par la Constitution de notre République
française, est d’une part un obstacle au fanatisme religieux, et d’autre part
la garantie d’une pratique religieuse quelle qu’elle soit.
Il
nous faut, tout d’abord, établir une distinction entre la burqa et le voile,
même si le terme de « voile » est souvent employé par commodité. Dans
le Catholicisme et le Protestantisme des femmes sont voilées : entre
autres, les religieuses et les diaconesses. Leur soumission ne va pas
obligatoirement à un homme, plus ou moins représentant une Eglise, mais à un
ordre ou encore à une règle. Les pratiquants de l’Islam non intégriste
affirment que la burqa n’est pas une prescription coranique, mais
l’interprétation minoritaire de sectes musulmanes. J’avoue être perplexe,
lorsque certains pays du Golfe persique, comme l’Arabie saoudite, exigent de
toutes femmes qu’elles sortent vêtues le corps entièrement couvert et voilées
par le niqab. Ces états musulmans estiment appliquer le Coran lorsqu’il
prescrit « Ô Prophète ! Prescris à tes épouses, à tes filles et aux
femmes des croyants d’abaisser un voile sur leur visage. Il sera la marque de
leur vertu et un frein contre les propos des hommes. Dieu est indulgent et
miséricordieux." »(sourate 33).
Pour s’y retrouver dans les
différentes sortes de voiles que peuvent porter les femmes musulmanes, voici
quelques indications :
la burqa : voile intégral qui
couvre la tête et l’ensemble du corps (mains et pieds compris), un grillage
dissimule les yeux (Afghanistan, Pakistan, Inde);
le tchadri : voile intégral
laissant apparaître les mains et les pieds (Afghanistan) ;
le tchador : voile intégral
posé sur la tête et qui descend jusqu’aux pieds et que l’on peu fermer de
l’intérieur avec les mains et, éventuellement, se couvrir le visage
(Iran) ;
le sitar (signifie
« rideau ») : voile intégral suffisamment fin pour couvrir d’un
seul tenant l’ensemble du corps dont les yeux ;
le niqab : voile intégral ne
laissant apparaître que les yeux (pays du Golfe persique et d’Afrique du
nord) ;
le hijab (appelé aussi improprement
« foulard ») : voile
« classique », laissant voir l’ensemble du visage (les cheveux et le
cou sont couverts) et ne couvrant pas le corps (voile porté majoritairement par
les musulmanes françaises).
2) Le voile dans
la Bible.
Le
terme de voile, dans la Bible, est employé au sens propre et au sens figuré. Dans
le Premier testament, au sens figuré, il peut signifier l’iniquité des juges
(Job 9/24), la duplicité de l’adultère (Job 24/15), ou encore l’ignorance des
peuples (Esaïe 24/7) et la manipulation des magiciennes (Ezéchiel 13/18-21). Au
sens propre, le voile peut être considéré comme une riche parure féminine
(Esaïe 3/19), comme signe de deuil et de condamnation à mort (Esther 6/12,
7/8), ou encore pour cacher l’ineffable (Moïse descendant du Sinaï après sa
rencontre avec Yahvé 34/33-35). Toutefois, le voile est aussi signe de la
pudeur féminine (Genèse 24/65, éventuellement 29/15-30, Esaïe 47/2), mais il
est curieusement l’accoutrement de la prostituée (Genèse 38 et particulièrement
le verset 14). Il semble donc que, quel qu’en soit le sens, le voile était un
vêtement coutumier du Moyen Orient. Le mot voile est attesté une trentaine de
fois dans le Premier testament, dont une vingtaine de fois pour désigner le
voile du tabernacle séparant le lieu saint du saint des saints (voir aussi le
voile du temple qui se déchire en Matthieu 27/51, Marc 15/38, Luc 23/45) et le
voile posé sur l’arche de l’alliance.
Pour
le Second testament, le terme de voile est aussi admis au sens propre et au
sens figuré. Au sens figuré, nous avons l’Apocalypse (du grec apokalupsis, « révéler »,
« lever le voile ») ; 2 Corinthiens 3/13-16 reprend le thème de
Moïse qui se cache la face de manière passagère par un voile, lequel signifie
l’obscurcissement des Israélites, alors que ce voile est levé en Jésus-Christ
(voir aussi 4/3) ; pour 1 Pierre 2/16, la liberté ne peut être un voile
qui couvre la malfaisance. Alors qu’au sens propre, nous avons le texte
machiste et contestable de Paul qui proclame que toute femme croyante doit être
voilée, car le voile est le signe de l’autorité de l’homme sur elle, comme
l’homme est soumis au Christ dont la tête est Dieu le Père. « Et si
quelqu’un se plaît à contester, nous n’avons pas cette habitude et les Eglises
de Dieu non plus » (cf. 1 Corinthiens 11/5-15). On le voit,
l’argumentation de Paul ne tient que parce qu’il y ajoute une fin de
non-recevoir. A mon avis, elle n’a aucune valeur, mais elle a fait pas mal de
dégâts en justifiant que les femmes soient soumises aux maris et soient
reléguées au foyer, sauf pour aller prier à l’Eglise. (La liturgie de
bénédiction sur le mariage dans l’Eglise Réformée de France s’en prévalut
jusque dans les années 1970).
3) La laïcité
mise en question ?
La
laïcité est-elle remise en question ? Je dirai oui ! Non pas à cause
du problème posé par le voile, qui n’est qu’une conséquence des coups de
boutoir portés contre la laïcité depuis maintenant une vingtaine d’années. Tout
à commencé avec la conception de la « laïcité ouverte » qui estimait
que toutes les religions devaient pouvoir s’exprimer dans le « domaine
réservé » de la puissance publique. Cette conception libérale paraîtrait
tolérante si elle n’ouvrait la porte aux revendications qui pourraient être
affirmées par une religion s’estimant être majoritaire dans le pays. Nous en
reviendrions alors au système napoléonien « du Catholicisme religion de la
majorité des Français ». Mais la boite de Pandore a été ouverte par
Nicolas Sarkozy : d’abord lorsqu’il fut ministre de l’intérieur et des
cultes et qu’il installa officiellement le Conseil français du culte musulman
en 2003 (actuellement dominé et manipulé par la partie la plus dure de l’Islam,
l’Union des organisations islamique de France –UOIF) ; ensuite lorsqu’il
prononça son fameux discours du Latran, le 20 décembre 2007, prêchant pour une
« laïcité positive » reconnaissant les racines chrétiennes de la
France et la prédominance morale du prêtre et du pasteur sur l’instituteur. Dès
lors l’affaire semblait pliée : la « laïcité à la papa » avait
vécu. Il est d’ailleurs symptomatique que la conception de la « laïcité
ouverte » et celle de la « laïcité positive » reprochent à la
laïcité, issue de la Révolution française, son intransigeance, voire son
sectarisme. Or c’est sur cette laïcité-là et pas une autre que s’est construit
le pacte républicain issu du Conseil national de la Résistance en 1944. C’est
donc bien le démantèlement de ce pacte qui est mis en œuvre par un dévoiement
de la laïcité, laquelle « ouverte » ou « positive » ne
ressemblerait plus à grand chose. Il faut donc résister pour empêcher un tel
démantèlement. Pour cela, il nous faut préciser encore et toujours ce qu’est la
laïcité qui fonde notre pacte républicain.
4) La laïcité.
La
France est constitutionnellement une démocratie républicaine qui s’inscrit, en
droit, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC). Elle a,
de plus, la particularité d’être le seul état de la Communauté européenne à
revendiquer constitutionnellement la laïcité. La laïcité n’est pas inscrite
dans la DDHC qui se place, en préambule, « sous les auspices de l’Etre
suprême ». Il faudra attendre la Constitution de 1946 pour que la
République française soit « constitutionnellement laïque ».
Ce
qui va suivre, je l’affirme sans relâche depuis plus de quinze ans, mais
peut-être en l’occurrence vaut-il mieux se répéter pour avoir nos moyens
idéologiques de résistance face à la mise à mal de notre pacte républicain. Par
laïcité, il faut entendre non pas la tolérance des religions et des pensées,
dans la mesure où elle ne portent pas atteinte à l’intégrité du fait (ou du
pacte) républicain, mais le droit du citoyen à exprimer sa pensée ou sa
religion. Ce droit peut faire appel à un autre droit, s’il est menacé, celui de
résistance
à l’oppression (art. II de la DDHC qui fut la contribution des
Protestants). La laïcité n’existe donc pas du fait abstrait de la tolérance des religions et des pensées, mais elle
existe du fait concret de l’existence
et de l’expression du citoyen, puisque l’ensemble des citoyens forment
la nation. Ce qui veut dire que la République française reconnaît au citoyen
l’exercice du culte, mais ne reconnaît pas l’appartenance du citoyen au culte.
C’est là une différence fondamentale entre la République française et une
république islamique. Le culte (ou la pensée, ou la religion) n’est pas
premier ; il n’a pas d’existence par lui-même puisque Dieu ne détermine
pas la vie de la nation. Le culte n’existe que parce que le citoyen le fait
exister. La République reconnaît d’abord le citoyen de par ce fait
essentiel : la liberté et l’égalité en droit lui sont acquis par
naissance. Et ce droit n’a de valeur que dans le cadre de la nation.
Si
nous allons jusqu’au bout de la logique, on peut dire que la République ne
reconnaît pas les cultes, mais reconnaît les citoyens qui exercent des cultes,
parce qu’ils sont, en droit, libres de les exercer et égaux dans les exercices
qu’ils en font. Cette logique nous fait comprendre qu’il est extrêmement
délicat de légiférer contre l’idéologie des sectes, dans la mesure où 1) elles
ne contreviennent pas aux lois de la République et où 2) leurs adeptes
affirment toujours exercer leur liberté d’expression de citoyen à travers une
entité religieuse. Il n’y a donc pas de primauté de telle religion sur telle
autre ou de telle pensée sur telle autre. Il n’y a pas de religion de la
majorité des Français ; il n’y a pas, c’est évident, de religion(s)
d’état. Or le port de la burqa dans l’espace public contrevient à ce droit,
dans la mesure où la citoyenneté de la femme est niée par le vêtement qui
représente prioritairement et fondamentalement la religion qu’il exprime.
Pour une société laïcisée Dieu
est de l’ordre du domaine privé et de la conscience. Dieu est exclu des organes
de gouvernement et de décisions. Dieu est exclu de l’espace public, dans la
mesure où c’est dans cet espace que peut et doit s’exercer la laïcité. Certes
le citoyen peut croire que Dieu dirige la société, mais cette croyance, cette
foi ne doit en aucun cas se généraliser à l’ensemble social constitué des
autres citoyens. Pour une société laïcisée, la foi est d’ordre privé et du
domaine de la liberté de conscience individuelle. Or la raison qui détermine
toute loi républicaine s’exerce dans l’espace public, domaine de la liberté et
de l’égalité qui fondent la cohésion sociale, ou encore le pacte républicain. Cette
réalité est avant tout une construction collective. Par le fait même que la burqa
exprime physiquement, dans l’espace public - là où se vit le pacte républicain
-, une idéologie religieuse qui proclame que la laïcité est un
« péché », ou une « hérésie », elle n’a pas à y exister et
revendiquer un droit à l’expression, dans la mesure où elle est une offense au
droit citoyen. La « laïcité ouverte » met en concurrence
les religions et les pensées : le citoyen est malheureusement relégué au
second plan et perd sa réalité centrale. La « laïcité positive »
insiste sur un fondement religieux de l’Etat et la primauté du religieux sur le
séculier : le principe d’égalité est mis à mal et, de manière
sous-entendue, il existera donc des citoyens de seconde zone. Ne nous étonnons
pas si, dans cette perte de repères, les intégrismes religieux, et
particulièrement certains intégrismes musulmans à travers le port de la burqa,
mettent les lois fondamentales de notre république à l’épreuve.
5) En guise de
conclusion, le Protestantisme doit défendre la laïcité républicaine.
Ces
manières de contester une laïcité issue idéologiquement de la Révolution
française nous contraignent à leur opposer un refus catégorique et une
résistance opiniâtre. Ce n’est pas le fait d’être Protestant qui est
déterminant ici : c’est d’abord d’être un citoyen qui peut librement
exprimer un Protestantisme, lequel ne peut ni ne doit, en droit, exiger une
quelconque supériorité sur d’autres religions et pensées. C’est en tant que
citoyens protestants, avec d’autres citoyens de toutes pensées et religions,
que nous sommes fondés à opposer un refus clair et une résistance active. Ce
n’est pas notre origine protestante qui est déterminante ici, c’est le
fondement de la citoyenneté, dans les notions de République et de laïcité, qui
peut garantir nos idéologies protestantes. Pourquoi ? Parce que si nous
nous référons exclusivement à un enracinement protestant (luthérien, réformé,
baptiste, ou autres) en ignorant la citoyenneté, nous ne ferons jamais le poids
face à des religions qui se réfèrent à des états bien séculiers : le
Catholicisme se réfère à l’état du Vatican et à ses lois (le droit
canon) ; l’Islam se réfère à l’Arabie saoudite, la Jordanie ou le Maroc
pour les Sunnites et l’Iran pour les Chiites, et dont les lois sont issues du
Coran (la charia) ; le Judaïsme se réfère très souvent à l’état d’Israël
et ses lois rabbiniques (Tora et Talmud). Le Protestantisme, quant à lui, n’a
aucun état de référence. Certes il peut être « religion d’état »,
mais il ne sera jamais « état religieux ». Sa seule référence
est un livre : la Bible. Or le Protestantisme français à accepté et
contribué à la mise en place de la « Loi de séparation des Eglises et de
l’Etat », séparation voulue dès l’origine du Calvinisme, même si cette
conception originelle s’est souvent dévoyée au cours de l’histoire. Donc ce
Protestantisme, sans état de référence, s’attachera aux lois de l’état qui
garantira son existence : la République française et sa Constitution
laïque. Car l’histoire a, hélas !, montré que la liberté de conscience
pouvait être mise à mal par un état se réclamant d’une religion (le dernier en
date fut l’état pétainiste de Vichy). Faisons donc tout pour qu’aujourd’hui
nous ne nous y approchions pas de trop près.
JJ Demouveaux
(octobre 2010 ).
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