dimanche 23 août 2015

- FAMILLE, CONJUGALITE, TEMOIGNAGE.


FAMILLE, CONJUGALITE, TEMOIGNAGE.


     Tout d’abord soyons clairs : « l’orthodoxie qui se dégage pour définir le sens du mariage » est d’abord celle de la bourgeoisie protestante (du moins pour ce qui nous concerne) du 19ème et du début du 20ème siècles, véhiculés par les « missionnaires », souvent mis en regard du puritanisme anglo-saxon, au moment où la France et la Grande-Bretagne développaient leur colonialisme échevelé. Le témoignage que véhiculaient nos « missionnaires » se heurtait, bien entendu, aux cultures locales qui, depuis des siècles, vivaient plus ou moins bien leurs conceptions de la famille et de la conjugalité. Des récits émouvants baignèrent notre jeunesse (du moins la mienne) racontant l’engagement et l’altruisme de femmes et d’hommes qui donnèrent leur vie pour leur conviction et leur foi : conviction car ils allaient apporter la civilisation là où elle semblait inexistante ; foi car ils estimaient qu’elle était la seule authentique. Ceci, tout le monde le sait. Mais de la manière dont nous formulons nos questions peut poser, en la circonstance, problème dans la mesure où nous nous trouvons souvent face à un « retour de bâton culturel » de la part de populations qui estiment avoir été spoliées de leur culture ancestrale au profit de ce qui leur était non seulement étranger, mais aussi, avec le passage de l’administration et des militaires, terriblement humiliant. Ceci aussi tout le monde le sait. Alors pourquoi poser le thème « Famille, conjugalité, témoignage » ? Quel(s) malaise(s) sous-tend(ent)-il(s) ? Derrière lui, ne se cache-t-il pas la pertinence d’un modèle mis à mal par l’actualité (familles recomposées, mariage pour tous, GPA, PMA, etc.…) ? La question est déjà une réponse, d’autant plus que les églises se retrouvent en difficulté dès qu’il s’agit de structurer théologiquement des réalités qui leur échappent jusqu’à leur devenir étrangères.


     Or nos ancêtres en Réformation ont toujours été prudents en la matière (notamment en ce qui concerne le mariage), en tout cas plus prudents que nous l’avons été depuis un siècle et demi. Pour ce qui est du mariage, Jésus est lui aussi prudent (il est vrai que la question posée est sur le divorce) : il dit de se référer à la Genèse et d’en appliquer la loi. Paul se réfère à la loi (Rom. 7, 2) ; Luther dit du mariage qu’il est « une affaire profane », donc de l’ordre de la loi. Et qu’en est-il des mariages contractés par les Protestants pendant les guerres de religions, alors que leur réalité de sujets du roi leur était déniée ? Il en va de même pour l’évolution de la famille qui pourrait aller de Paul jusqu’au 19ème siècle : on passe successivement du pater familias qui a droit de vie et de mort sur sa famille, au père représentant de Dieu dominant sur les siens, au bourgeois dont l’épouse est infantilisée, n’ayant aucun droit de décision, passant de l’autorité du père à celle du mari, et ce, jusqu’au milieu du 20ème siècle où, en France, il lui était impossible pour une femme de voter ou de détenir un carnet de chèques personnel. Il est difficile, en la circonstance, de dire que nous avons aujourd’hui tout compris et qu’il nous est possible d’affirmer un témoignage des plus valides.


     Or il semble que nos églises naviguent à vue, ce qu’on ne peut leur reprocher étant données les complexités politiques, sociales, économiques, etc. Quelle parole pouvons-nous avoir pour nos concitoyens ? Quelle éthique proposer ? Avons-nous encore un discours audible ? On le voit c’est de l’ordre de la gageure. Alors qu’en sera-t-il dans nos relations avec celui qui vit au loin ?


     Comme le disait mon professeur de dogmatique luthérienne, Théobald Süss, lors d’un de ses séminaires à la Faculté de théologie protestante de Paris, la théologie a toujours procédé par analogie avec la pensée philosophique. Il prenait l’exemple de Luther qui, d’après lui, procédait par analogie avec la pensée platonicienne pour développer sa théologie. Theobald Süss n’avait pas tort. Car bien que Luther crût que la philosophie, fondée sur la raison, était « la plus grande putain du diable » (Œuvres, tome IV ; Labor et Fides, Genève 1960), il n’en demeurait pas moins qu’il en était tributaire ne serait-ce qu’au travers des modes structurels gréco-romains d’une pensée que transmit l’inventeur du Christianisme, Paul. Il est vrai que la vindicte moyenâgeuse de Luther s’adressait d’abord à une scolastique triomphante et qu’il était hors de question de faire dans la dentelle quand on se trouvait en pleine guerre idéologique (et théologique) contre une Eglise romaine tout aussi brutale qui visait prioritairement à détruire l’opposant plutôt qu’initier un débat d’idées. Luther en prit d’ailleurs de la graine pour combattre Thomas Müntzer, durant la « Guerre des Paysans ». Mais, dira-t-on, c’était l’époque.  Il est vrai que le 20ème siècle fut un exemple de lucidité et d’ouverture en la matière, avec ses deux guerres mondiales et ses guerres coloniales…


     Ce n’est donc pas au niveau des cheminements formels de la pensée qu’il nous sera possible de distinguer la théologie de la philosophie pour ce qui nous concerne. C’est surtout à la place que prend l’homme dans ses implications systématiques : pour le philosophe, l’homme peut et doit être au point de départ de tout questionnement, même si au détour d’une réflexion il estime découvrir Dieu (Descartes). Toutefois, il a souvent une certaine difficulté de se distancier ou de relativiser son « moi central ». Il en va différemment de la théologie qui se fonde, même pour les critiquer ou s’en éloigner, sur des légendes cultuelles ou des mythes fondateurs qui nous viennent du fond des âges des pensées et croyances religieuses. Quels que soient ses préventions, ses doutes, voire ses rejets, le théologien pourra difficilement s’exonérer de ces fondements, tout à fait étrangers à la démarche du philosophe, même s’il arrive à ce dernier de retrouver certains mythes comme porteurs d’une explication fondamentale ou présupposée comme telle (voir le « mythe de la caverne » chez Platon).


     Si la définition de la « légende cultuelle » ne pose pas trop de problème – il s’agit d’un fait légendaire ou d’un fait qui devient légendaire sur lequel s’enracine une réalité cultuelle (par exemple la sortie du pays d’Egypte par Moïse et le peuple d’Israël) – le choix des événements bibliques qui y entrent est plus problématique et ouvre le champ à d’amples et âpres discussions. Quant à la définition du « mythe fondateur » – au départ mythe qui expliquait l’origine de l’univers, des sociétés humaines (dont la famille et la conjugalité), mais redéfinie, par la suite, comme fondant une utopie qui peut en partie ou ne peut jamais se réaliser – il peut être généralement admis, mais il sera difficile pour un chrétien traditionnel de l’accepter en l’appliquant non seulement à un aspect fondamental de sa foi (la résurrection en général et celle du Christ en particulier), mais aussi, au bout du compte, à une éthique qu’il voudrait cohérente avec cet aspect fondamental. Car la famille, la conjugalité, le témoignage, au même titre que le baptême et la sainte cène, y sont fondamentalement confrontés


     Or nous y voilà. La résurrection comme l’un des mythes fondateurs sur lequel se greffe la particularité de la résurrection de Jésus-Christ. Ce mythe fonde l’utopie de l’espérance chrétienne, utopie non réalisée en totalité. Utopie qui pourra ne jamais se réaliser totalement ? Le Protestantisme, fondé sur son idéologie de la sola scriptura, s’est heurté au problème jusqu’à en faire l’objet d’un acte de foi, reprenant en cela les anciennes confessions de foi chrétiennes. Il divergeait peu, en la circonstance, du Catholicisme romain et de l’Orthodoxie orientale. Sauf que le Catholicisme romain admettait subséquemment une conception de l’immortalité de l’âme attendant cet instant de la résurrection pour que, après jugement, certains soient admis à la félicité éternelle et d’autres à une damnation tout aussi éternelle. Et, pour en revenir au mythe fondateur que semble être la résurrection, l’importance que revêt l’Ecriture comme « élément porteur » de ce mythe, fait d’elle-même l’un des mythes fondateurs du Christianisme. En cela la Réforme ne s’est pas trompée. Toutefois la résurrection n’est pas à elle seule le mythe fondateur principal du Christianisme. Il nous faudrait élargir certainement les perspectives à l’incarnation et la messianité, mais nous sommes tenus à la limite d’un article. Donc je pense que c’est  particulièrement sur le mythe fondateur de la résurrection que repose l’éthique chrétienne.


     Le Protestantisme issu de la Réforme rattache sa conception de la résurrection à une annonce explicite de l’Evangile en la matière. C’est donc fondé sur l’Ecriture qu’il va concevoir et formuler son espérance. Or il nous faut reconnaître que cette conception (et cette formulation) est multiple, selon l’interprétation théologique de courants qu’ils soient libéral, traditionnel, social, critique, etc.… Certes je puis dire : « Je crois la résurrection des corps » ou « de la chair » comme on veut, et c’est très dur à avaler donc je fais l’impasse ou la mise en parenthèses intellectuelle (l’épochè dirait Husserl - Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps ; PUF, Paris 1996.), soit je me replie sur une confession de foi moins exigeante qui n’en reste qu’au « Je crois la résurrection » et je mets ce que je veux entendre sous le concept : se lever, resurgir, repartir, ou toute autre acceptation possible. Enfin, je peux la nier ou tout simplement me taire. Il est donc important d’y relier une éthique qui s’inscrit dans le concret à travers notamment la famille et la conjugalité ; le témoignage étant ce que nous estimons bon d’en faire.


     Admettons, d’emblée, ce qui pourra être considéré comme hypothèse (ou certitude) de départ : je pense que la résurrection, et particulièrement celle de Jésus-Christ, est l’un des mythes fondateurs de l’espérance chrétienne, quel que soit le sens que nous lui donnons ou même si nous la nions, sur lequel se fonde l’éthique chrétienne. Faire une analyse critique d’un texte présuppose que l’ensemble du texte soit pris au sérieux, sinon il ne sert à rien de s’y pencher : la négation de la résurrection doit être argumentée dès lors qu’on étudie un texte qui en fait l’exposition. Il ne suffit pas de considérer la résurrection comme purement légendaire ou de la mettre au rayon des objets inutiles pour en être quittes avec elle : nous serons confrontés au fait que ce qui fonde l’utopie chrétienne, sur laquelle s’enracine notre éthique, a ou non et aura ou non commencé, à défaut d’avoir eu un total achèvement. Il faudra, subsidiairement, observer si et comment ce mythe fondateur ouvre sur une légende cultuelle (par exemple, « le repas du Seigneur ») qui permette de fonder cultuellement l’expression de la foi chrétienne.


     Accepter une définition qui nous permette de procéder par analogie avec une pensée distincte du théologique, ne nous contraint pas à abandonner ce terrain. J’ai eu l’occasion maintes fois de le préciser comme un élément fondamental de ma démarche théologique : confronté à cette question et pour paraphraser Th. W. Adorno, peut-on, aujourd’hui dans l’Eglise, se prévaloir de construire un système théologique ’’ décisif et définitif ‘’ (Barth) après Auschwitz (et Hiroshima) ? J’en doute. La réflexion théologique peut être résumée au cri prophétique, ce qui n’est déjà pas si mal. En tout cas, elle doit toujours être remise en question, débattue, même si elle semble souvent passagère, car elle s’est reconstruite (et se reconstruit encore aujourd’hui) sur les décombres d’une pensée occidentale, mise à mal par les crimes qu’elle a pu engendrer. Ajoutons – je le pense résolument – que la discussion, le débat et, pourquoi pas ?, l’enracinement d’une pensée chrétienne (et d’une éthique chrétienne) doivent se faire avec et en confrontation avec les pensées juives. S’il existe des désaccords de fond, les barrières ne sont infranchissables que pour les esprits intégristes. Chacun peut puiser chez l’autre l’aide à ses cheminements spirituels. Dans ces temps de fortes confusions, il est essentiel de ne pas s’exonérer des responsabilités de la Chrétienté comme ayant participé à cette destruction et peinant à établir une pensée renouvelée sur de tels décombres. Si nous admettons un instant ce qui vient d’être proposé, qu’en est-il alors de notre témoignage ?

     Toutefois, les références plus que douteuses à l’Ecriture pour prendre et appliquer des mesures scélérates (Inquisition, Croisades, mais aussi Apartheid, massacre des Amérindiens par les Puritains, etc.…) exonèrent-elles l’Ecriture elle-même ? Autrement dit, l’Ecriture - par certains récits surprenants (inceste des filles de Lot), ambigus (texte antisémite de 1 Thessaloniciens 2 : 14 à 16), terribles (paroles de vengeance et d’exclusion), voire inacceptables (nombreuses « villes passées par interdit » : destructions et massacres des populations d’Aï ou Jéricho, entre autres, par Josué) – n’est-elle pas un parfait exutoire pour ce qui est le plus inavouable en l’homme ? Rien que pour de telles références possibles, l’Ecriture mérite d’être critiquée, mise en cause, parfois réfutée, dans la mesure où elle permet d’accepter l’inacceptable, inacceptable dans lequel j’inclus le négationnisme théologique (l’un des plus funestes, à mon avis, fut de renier les racines juives du Christianisme.). Qu’en est-il alors de la pertinence de notre témoignage ?

     Dans la mesure où toute interprétation des Ecritures peut se révéler triomphaliste, affirmant souvent avoir raison ou être sous l’inspiration de l’Esprit - ce qui souvent est similaire chez certains détenteurs d’un pouvoir ecclésial aussi dérisoire soit-il -, je ne vois pas en quoi nous ne pourrions pas la considérer comme faible, dans la mesure où lesdits détenteurs de ce pouvoir des plus dérisoires, ne prendraient pas en compte les décombres laissés par la Chrétienté après Auschwitz. Qu’en est-il alors de la validité de leur témoignage et éventuellement la validité de notre propre témoignage ?

     Certes si nous en revenons à l’encrage de notre sujet sur de telles propositions, la famille « classique » dans laquelle peut se reconnaître la famille « chrétienne » – famille qui bien entendu dépasse le cadre « parents-enfants » et inclus non seulement les grands-parents (auxquels le Code civil français donne des droits), les cousins, etc.… -, est contestée dans sa structure traditionnelle par les problèmes posés par les « familles recomposées » et les couples homosexuels avec ou sans enfants. Je ne sais quel impact pourrait avoir la confrontation de telles réalités avec d’autres structures familiales traditionnelles dans d’autres pays, les choses n’étant déjà pas si simples en France… C’est ici que la conjugalité revêt une importance certaine et peut être objet de tension, voire diviser la réalité familiale.


Prenons donc pour exemple concret celui du « mariage pour tous ». N’ayant aucune expérience du vécu en Afrique, en Océanie, en Asie ou ailleurs, je suis particulièrement mal placé pour estimer que ma conception « théologico-éthique » de la famille et de la conjugalité puisse être une référence. Quant à ce que pourrait être mon témoignage… Mais venons-en malgré tout à ce qui permet l’expression pratique de ce témoignage, c’est-à-dire l’expression d’une « éthique chrétienne de sensibilité réformée » spécifiquement impliquée dans le creuset de la société française. La liberté de conscience étant toujours de mise dans nos églises luthériennes et réformées, je voudrais exposer certaines réflexions relatives à notre sujet. La question est de savoir si cette loi votée le sera toujours a minima ou, au contraire, trouvera une extension avec l’approbation prochaine (ou dans quelques années) d’une loi sur la procréation médicalement assistée (PMA) et sur la gestation pour autrui (GPA) que le gouvernement n’a pour l’instant pas retenue (la question des mères porteuses serait alors posée avec acuité). L’autre question à laquelle il nous faut répondre est : la loi étant votée que faisons-nous ? L’Eglise protestante unie de France a répondu en décidant d’ouvrir la bénédiction sur le mariage aux unions homosexuelles. Mais auparavant quels sont les enjeux qui sous-tendront nos décisions. Or pour pouvoir affronter un problème de société aussi complexe, il est nécessaire d’y voir clair… Ce qui n’est pas acquis là où, sous prétexte de démocratie revendiquée, on obscurcit à dessein le débat.


            Notre société française se réclame de la laïcité. Théoriquement notre témoignage devrait la prendre en compte. N’oublions pas que la Réforme calvinienne a toujours milité pour la séparation de l’église et de l’état. La laïcité, selon notre constitution, reconnaît prioritairement le citoyen et non le Catholique, le Protestant, le Juif, le Musulman ou l’Athée Cette laïcité « neutraliste » permet à tous citoyens de s’exprimer religieusement ou non dans le cadre fixé par la loi. Ce qui a permis au citoyen protestant, au citoyen juif, au citoyen athée de pouvoir vivre son idéologie sans pression étatique d’une religion ou d’une idéologie majoritaire dans la population. Pour ma part, j’estime que ce cadre est nécessaire et suffisant et que toute velléité pour imposer une laïcité « ouverte » ou « positive » est une aberration politique : la laïcité se suffit à elle-même comme garantie de liberté de culte ou d’idéologie et d’égalité devant la loi, qu’on appartienne à une minorité religieuse (idéologique) ou non. Il faut aussi spécifier que, dans un cadre fondamentalement laïque, seule la citoyenneté de l’individu est prise en compte en priorité. Le religieux ou l’idéologique vient en second. La conception de l’individu citoyen se définira donc dans la stricte égalité entre les femmes et les hommes. On ne voit pas en quoi le mariage civil remettrait en cause cette stricte égalité en droit en unissant deux femmes ou deux hommes. Pour beaucoup d’opposants au mariage pour tous, j’en suis convaincu, il s’agit, avant tout, d’un combat contre la laïcité.


C’est dans cet ensemble « république démocratique laïque » que se sont façonnées nos lois, et, parmi elles, celle qui définit le mariage civil, seul reconnu en France. Les mariages religieux ne le sont pas et les ministres des cultes doivent se soumettre à cette règle sous peine de poursuites judiciaires. Ce qui veut dire qu’un ministre du culte ne peut marier deux individus religieusement s’ils n’ont pas contracté, au préalable, le mariage civil. Ce problème n’existerait pas si le prêtre, par exemple, était officier d’état civil comme en Angleterre. Mais notre république ne reconnaît pas aux ministres du culte ce pouvoir. Seuls les élus du peuple sont détenteurs de ce pouvoir par délégation. La République française établit juridiquement la liberté et l’égalité jusque dans la définition laïque du mariage. Le mariage n’est pas sous le regard de Dieu, il n’est pas béni, il est contractuellement consenti devant témoins dont le premier est l’officier d’état civil (maire ou élu municipal), représentant incontesté car élu de la république démocratique et laïque. La question du mariage religieux ne se pose pas pour les églises issues de la Réforme luthérienne et calviniste. L’affaire est plus problématique pour le Catholicisme.


Enfin laisser aux maires le choix d’acter ou non un mariage entre homosexuels, au nom de la « liberté de conscience » est des plus ambigus dans la mesure où la liberté de conscience et de religion est inscrite dans la Constitution mais, est-il ajouté, selon les limites imposées par la Loi. Le mariage pour tous étant légalement adopté, il reste au maire « objecteur de conscience », de laisser faire le boulot par un adjoint ou, ce serait plus honnête, de démissionner. Ceci dit, un citoyen n’est pas obligé de se présenter à la magistrature municipale si les lois votées ne lui conviennent pas.


En revanche, il n’est pas facile d’être catholique quand il s’agit de trancher, en France, sur un problème de société aussi « délicat » que le mariage pour tous. Rappelons l’ambivalence du Catholicisme qui peut être, selon les opportunités, un état, le Vatican, qui, comme la Palestine et le Kosovo, a un statut à l’ONU d’ « état observateur non membre », ou une religion. Même si cela ne fait pas trop plaisir à nos « frères séparés », ils se retrouvent, en quelque sorte, avec une « double nationalité » : française, avec ses lois républicaines, démocratiques et laïques, et vaticane, avec son droit canon monarchiste absolu de droit divin. Le problème se complique lorsque le droit canon doit céder le pas devant le droit de la République : en France, un prêtre ne peut marier légalement un couple s’il n’a pas en main, nous l’avons vu, l’attestation que ledit couple est marié selon la loi républicaine. Pour la République française, le mariage catholique n’a aucune valeur légale.


Comment alors le Catholicisme peut-il s’en sortir avec une telle obligation ? En droit canon, il va falloir jouer sur une subtilité juridique qui va distinguer le « licite », du « légal » : le mariage républicain sera « licite », le mariage catholique sera « légal ». Ainsi les non-catholiques (protestants, athées, musulmans, bouddhistes ou autres), mariés selon la loi républicaine, seront licitement mariés et non légalement selon la loi vaticane. La République française ayant adopté en toute légalité le mariage pour tous, celui-ci devient juridiquement licite pour le droit canon ou alors il faudrait faire des lois (canoniques) d’exception, ce qui poserait de gros problèmes de relations entre le Catholicisme français et la République. Il serait possible, en l’occurrence, de brandir le spectre légal de la discrimination. Ceci dit, si on estime que le Catholicisme est maître en sa demeure, fort bien, mais alors que le Vatican, par l’intermédiaire de son chef d’état, le pape, ne se mêle pas de nos affaires. Ce qui n’est pas aussi simple pour des évêques qui deviennent, en la circonstance, des porte-parole politiques. Ajoutons les problèmes actuels posés par l’ambassadeur envoyé par la République auprès du Vatican, lequel n’a toujours pas été accepté par le pape, sous prétexte d’homosexualité revendiquée, mais surtout à cause du « mariage pour tous », voté par la France, qui met le droit canon en porte-à-faux ou le contraint à des circonvolutions des plus hasardeuses.


Sur le plan religieux, le Catholicisme reconnaît le mariage comme l’un de ses sept sacrements soumis au « sacrement essentiel » de l’Eglise. En tant que tel, il est exclusivement le mariage d’un homme et d’une femme. On peut repérer l’une des références fondatrices dans l’interprétation d’Ephésiens 5/21 à 33, texte qui, après avoir insisté sur la soumission de la femme à son mari et le devoir d’aimer sa femme comme soi-même, rappelle Genèse 2/24 : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule chair. Ce mystère (traduction du grec mustérion en latin sacramentum qui a donné « sacrement ») est grand, moi je le dis en ce qui concerne Christ et l’Eglise. ». Le mariage pour tous apparaît donc comme antinomique au mariage religieux. Rappelons ici qu’il existe, dans l’Eglise catholique, la possibilité de bénir une union sans passer par le mariage religieux.


Reste maintenant à balayer devant notre porte. Selon le mot de Luther : « Le mariage est une affaire profane », les églises luthériennes et réformées ne reconnaissent que le mariage civil. Si le mariage religieux est totalement ignoré par nos églises, une bénédiction, en revanche, est tout à fait admise. Jusqu’à une vingtaine d’années, on pouvait trouver, dans la « liturgie verte » (liturgie en vogue, en ces temps lointains, dans l’Eglise réformée de France) la référence à une « indissolubilité du mariage » des plus ambiguës. Il n’en est, heureusement, plus question. Non que l’indissolubilité soit une ineptie, mais le fait de la mentionner avec des textes bibliques appropriés, dont le fameux Ephésiens 5/31-32, pouvait introduire la confusion avec un mariage religieux qui ne voulait pas dire son nom.


            Ne reconnaissant donc aucune valeur sacramentelle au mariage, les églises issues de la Réforme n’ont pas échappé aux problèmes théologique et disciplinaire que pouvait poser la bénédiction d’un mariage entre homosexuels. L’argument de la liberté de conscience permettant de refuser ou d’accepter de bénir une telle union ne pouvait se suffire à soi-même. Si l’objection de conscience d’un individu (pasteur ou laïc), comme elle peut exister pour le refus du baptême des petits enfants, était éventuellement opposée, la position claire des églises issues de la Réforme dût être sérieusement argumentée, sous peine de débats interminables et d’oppositions irréductibles. On me dira qu’ils existent déjà sur nombre de sujets théologiques et éthiques. Certes, mais reconnaissons que nos églises se sont retrouvées devant un sacré problème de société qu’elles n’avaient pas eu à résoudre ou, tout au moins, accompagner depuis longtemps. C’est un fait de reconnaître un (ou une) homosexuel(le) dans sa totalité et sa liberté humaines, c’en est un autre que d’engager l’église dans un acte théologique et ecclésial important qui n’aurait pas été débattu localement et en synode. Et ceci quelle que soit notre position sur le mariage pour tous. Mais ont été clairement adoptés la revendication des homosexuels au droit qui soit le même pour tous, dont celui au mariage et la demande de sa bénédiction liturgique.


            En guise de brève conclusion, nous nous retrouvons devant un champ de réflexions ouvert que nous sommes encore très loin d’avoir exploré. Nous pouvons, nous, y entrer ou demeurer avec ceux qui veulent toujours croire que la terre est plate.


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J.J. Demouveaux (juin 2015).


           

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