FAMILLE, CONJUGALITE, TEMOIGNAGE.
Tout d’abord soyons clairs :
« l’orthodoxie qui se dégage pour définir le sens du mariage » est
d’abord celle de la bourgeoisie protestante (du moins pour ce qui nous
concerne) du 19ème et du début du 20ème siècles, véhiculés
par les « missionnaires », souvent mis en regard du puritanisme
anglo-saxon, au moment où la France et la Grande-Bretagne développaient leur
colonialisme échevelé. Le témoignage que véhiculaient nos
« missionnaires » se heurtait, bien entendu, aux cultures locales
qui, depuis des siècles, vivaient plus ou moins bien leurs conceptions de la
famille et de la conjugalité. Des récits émouvants baignèrent notre jeunesse
(du moins la mienne) racontant l’engagement et l’altruisme de femmes et
d’hommes qui donnèrent leur vie pour leur conviction et leur foi :
conviction car ils allaient apporter la civilisation là où elle semblait
inexistante ; foi car ils estimaient qu’elle était la seule authentique.
Ceci, tout le monde le sait. Mais de la manière dont nous formulons nos
questions peut poser, en la circonstance, problème dans la mesure où nous nous
trouvons souvent face à un « retour de bâton culturel » de la part de
populations qui estiment avoir été spoliées de leur culture ancestrale au
profit de ce qui leur était non seulement étranger, mais aussi, avec le passage
de l’administration et des militaires, terriblement humiliant. Ceci aussi tout
le monde le sait. Alors pourquoi poser le thème « Famille, conjugalité,
témoignage » ? Quel(s) malaise(s) sous-tend(ent)-il(s) ?
Derrière lui, ne se cache-t-il pas la pertinence d’un modèle mis à mal par
l’actualité (familles recomposées, mariage pour tous, GPA, PMA, etc.…) ?
La question est déjà une réponse, d’autant plus que les églises se retrouvent
en difficulté dès qu’il s’agit de structurer théologiquement des réalités qui
leur échappent jusqu’à leur devenir étrangères.
Or nos
ancêtres en Réformation ont toujours été prudents en la matière (notamment en
ce qui concerne le mariage), en tout cas plus prudents que nous l’avons été
depuis un siècle et demi. Pour ce qui est du mariage, Jésus est lui aussi
prudent (il est vrai que la question posée est sur le divorce) : il dit de
se référer à la Genèse et d’en appliquer la loi. Paul se réfère à la loi (Rom.
7, 2) ; Luther dit du mariage qu’il est « une affaire profane »,
donc de l’ordre de la loi. Et qu’en est-il des mariages contractés par les
Protestants pendant les guerres de religions, alors que leur réalité de sujets
du roi leur était déniée ? Il en va de même pour l’évolution de la famille
qui pourrait aller de Paul jusqu’au 19ème siècle : on passe
successivement du pater familias qui
a droit de vie et de mort sur sa famille, au père représentant de Dieu dominant
sur les siens, au bourgeois dont l’épouse est infantilisée, n’ayant aucun droit
de décision, passant de l’autorité du père à celle du mari, et ce, jusqu’au
milieu du 20ème siècle où, en France, il lui était impossible pour
une femme de voter ou de détenir un carnet de chèques personnel. Il est
difficile, en la circonstance, de dire que nous avons aujourd’hui tout compris
et qu’il nous est possible d’affirmer un témoignage des plus valides.
Or il
semble que nos églises naviguent à vue, ce qu’on ne peut leur reprocher étant
données les complexités politiques, sociales, économiques, etc. Quelle parole
pouvons-nous avoir pour nos concitoyens ? Quelle éthique proposer ?
Avons-nous encore un discours audible ? On le voit c’est de l’ordre de la
gageure. Alors qu’en sera-t-il dans nos relations avec celui qui vit au loin ?
Comme le
disait mon professeur de dogmatique luthérienne, Théobald Süss, lors d’un de
ses séminaires à la Faculté de théologie protestante de Paris, la théologie a toujours
procédé par analogie avec la pensée philosophique. Il prenait l’exemple de
Luther qui, d’après lui, procédait par analogie avec la pensée platonicienne
pour développer sa théologie. Theobald Süss n’avait pas tort. Car bien que
Luther crût que la philosophie, fondée sur la raison, était « la plus
grande putain du diable » (Œuvres, tome IV ; Labor et Fides, Genève 1960), il
n’en demeurait pas moins qu’il en était tributaire ne serait-ce qu’au travers
des modes structurels gréco-romains d’une pensée que transmit l’inventeur du
Christianisme, Paul. Il est vrai que la vindicte moyenâgeuse de Luther
s’adressait d’abord à une scolastique triomphante et qu’il était hors de
question de faire dans la dentelle quand on se trouvait en pleine guerre
idéologique (et théologique) contre une Eglise romaine tout aussi brutale qui
visait prioritairement à détruire l’opposant plutôt qu’initier un débat
d’idées. Luther en prit d’ailleurs de la graine pour combattre Thomas Müntzer,
durant la « Guerre des Paysans ». Mais, dira-t-on, c’était l’époque. Il est vrai que le 20ème siècle fut
un exemple de lucidité et d’ouverture en la matière, avec ses deux guerres
mondiales et ses guerres coloniales…
Ce
n’est donc pas au niveau des cheminements formels de la pensée qu’il nous sera
possible de distinguer la théologie de la philosophie pour ce qui nous
concerne. C’est surtout à la place que prend l’homme dans ses implications
systématiques : pour le philosophe, l’homme peut et doit être au point de
départ de tout questionnement, même si au détour d’une réflexion il estime
découvrir Dieu (Descartes). Toutefois, il a souvent une certaine difficulté de
se distancier ou de relativiser son « moi central ». Il en va
différemment de la théologie qui se fonde, même pour les critiquer ou s’en
éloigner, sur des légendes cultuelles ou des mythes fondateurs qui nous
viennent du fond des âges des pensées et croyances religieuses. Quels que
soient ses préventions, ses doutes, voire ses rejets, le théologien pourra
difficilement s’exonérer de ces fondements, tout à fait étrangers à la démarche
du philosophe, même s’il arrive à ce dernier de retrouver certains mythes comme
porteurs d’une explication fondamentale ou présupposée comme telle (voir le
« mythe de la caverne » chez Platon).
Si
la définition de la « légende cultuelle » ne pose pas trop de
problème – il s’agit d’un fait légendaire ou d’un fait qui devient légendaire
sur lequel s’enracine une réalité cultuelle (par exemple la sortie du pays
d’Egypte par Moïse et le peuple d’Israël) – le choix des événements bibliques
qui y entrent est plus problématique et ouvre le champ à d’amples et âpres
discussions. Quant à la définition du « mythe fondateur » – au départ
mythe qui expliquait l’origine de l’univers, des sociétés humaines (dont la
famille et la conjugalité), mais redéfinie, par la suite, comme fondant une
utopie qui peut en partie ou ne peut jamais se réaliser – il peut être
généralement admis, mais il sera difficile pour un chrétien traditionnel de l’accepter
en l’appliquant non seulement à un aspect fondamental de sa foi (la
résurrection en général et celle du Christ en particulier), mais aussi, au bout
du compte, à une éthique qu’il voudrait cohérente avec cet aspect fondamental. Car
la famille, la conjugalité, le témoignage, au même titre que le baptême et la
sainte cène, y sont fondamentalement
confrontés
Or
nous y voilà. La résurrection comme l’un des mythes fondateurs sur lequel se
greffe la particularité de la résurrection de Jésus-Christ. Ce mythe fonde
l’utopie de l’espérance chrétienne, utopie non réalisée en totalité. Utopie qui
pourra ne jamais se réaliser totalement ? Le Protestantisme, fondé sur son
idéologie de la sola scriptura, s’est heurté au problème
jusqu’à en faire l’objet d’un acte de foi, reprenant en cela les anciennes
confessions de foi chrétiennes. Il divergeait peu, en la circonstance, du
Catholicisme romain et de l’Orthodoxie orientale. Sauf que le Catholicisme
romain admettait subséquemment une conception de l’immortalité de l’âme
attendant cet instant de la résurrection pour que, après jugement, certains
soient admis à la félicité éternelle et d’autres à une damnation tout aussi
éternelle. Et, pour en revenir au mythe fondateur que semble être la
résurrection, l’importance que revêt l’Ecriture comme « élément
porteur » de ce mythe, fait d’elle-même l’un des mythes fondateurs du
Christianisme. En cela la Réforme ne s’est pas trompée. Toutefois la
résurrection n’est pas à elle seule le mythe fondateur principal du
Christianisme. Il nous faudrait élargir certainement les perspectives à
l’incarnation et la messianité, mais nous sommes tenus à la limite d’un article.
Donc je pense que c’est particulièrement
sur le mythe fondateur de la résurrection que repose l’éthique chrétienne.
Le
Protestantisme issu de la Réforme rattache sa conception de la résurrection à
une annonce explicite de l’Evangile en la matière. C’est donc fondé sur
l’Ecriture qu’il va concevoir et formuler son espérance. Or il nous faut
reconnaître que cette conception (et cette formulation) est multiple, selon l’interprétation
théologique de courants qu’ils soient libéral, traditionnel, social, critique, etc.…
Certes je puis dire : « Je crois la résurrection des corps » ou
« de la chair » comme on veut, et c’est très dur à avaler donc je
fais l’impasse ou la mise en parenthèses intellectuelle (l’épochè dirait Husserl - Leçons pour une phénoménologie de la
conscience intime du temps ; PUF, Paris 1996.), soit je me replie sur une confession de
foi moins exigeante qui n’en reste qu’au « Je crois la résurrection »
et je mets ce que je veux entendre sous le concept : se lever, resurgir,
repartir, ou toute autre acceptation possible. Enfin, je peux la nier ou tout
simplement me taire. Il est donc important d’y relier une éthique qui s’inscrit
dans le concret à travers notamment la famille et la conjugalité ; le
témoignage étant ce que nous estimons bon d’en faire.
Admettons,
d’emblée, ce qui pourra être considéré comme hypothèse (ou certitude) de
départ : je pense que la résurrection, et particulièrement celle de
Jésus-Christ, est l’un des mythes fondateurs de l’espérance chrétienne, quel
que soit le sens que nous lui donnons ou même si nous la nions, sur lequel se
fonde l’éthique chrétienne. Faire une analyse critique d’un texte présuppose
que l’ensemble du texte soit pris au sérieux, sinon il ne sert à rien de s’y
pencher : la négation de la résurrection doit être argumentée dès lors
qu’on étudie un texte qui en fait l’exposition. Il ne suffit pas de considérer
la résurrection comme purement légendaire ou de la mettre au rayon des objets
inutiles pour en être quittes avec elle : nous serons confrontés au fait
que ce qui fonde l’utopie chrétienne, sur laquelle s’enracine notre éthique, a
ou non et aura ou non commencé, à défaut d’avoir eu un total achèvement. Il
faudra, subsidiairement, observer si et comment ce mythe fondateur ouvre sur
une légende cultuelle (par exemple, « le repas du Seigneur ») qui
permette de fonder cultuellement l’expression de la foi chrétienne.
Accepter une définition qui nous permette de procéder par
analogie avec une pensée distincte du théologique, ne nous contraint pas à abandonner
ce terrain. J’ai eu l’occasion maintes fois de le préciser comme un élément
fondamental de ma démarche théologique : confronté à cette question et pour
paraphraser Th. W. Adorno, peut-on, aujourd’hui dans l’Eglise, se prévaloir de
construire un système théologique ’’ décisif et définitif ‘’ (Barth)
après Auschwitz (et Hiroshima) ? J’en doute. La réflexion théologique peut
être résumée au cri prophétique, ce qui n’est déjà pas si mal. En tout cas,
elle doit toujours être remise en question, débattue, même si elle semble
souvent passagère, car elle s’est reconstruite (et se reconstruit encore
aujourd’hui) sur les décombres d’une pensée occidentale, mise à mal par les
crimes qu’elle a pu engendrer. Ajoutons – je le pense résolument – que la
discussion, le débat et, pourquoi pas ?, l’enracinement d’une pensée
chrétienne (et d’une éthique chrétienne) doivent se faire avec et en
confrontation avec les pensées juives. S’il existe des désaccords de fond, les
barrières ne sont infranchissables que pour les esprits intégristes. Chacun
peut puiser chez l’autre l’aide à ses cheminements spirituels. Dans ces
temps de fortes confusions, il est essentiel de ne pas s’exonérer des
responsabilités de la Chrétienté comme ayant participé à cette destruction et
peinant à établir une pensée renouvelée sur de tels décombres. Si nous
admettons un instant ce qui vient d’être proposé, qu’en est-il alors de notre
témoignage ?
Toutefois, les références plus que douteuses à l’Ecriture
pour prendre et appliquer des mesures scélérates (Inquisition, Croisades, mais
aussi Apartheid, massacre des Amérindiens par les Puritains, etc.…)
exonèrent-elles l’Ecriture elle-même ? Autrement dit, l’Ecriture - par
certains récits surprenants (inceste des filles de Lot), ambigus (texte
antisémite de 1 Thessaloniciens 2 : 14 à 16), terribles (paroles de
vengeance et d’exclusion), voire inacceptables (nombreuses « villes passées
par interdit » : destructions et massacres des populations d’Aï ou
Jéricho, entre autres, par Josué) – n’est-elle pas un parfait exutoire pour ce
qui est le plus inavouable en l’homme ? Rien que pour de telles références
possibles, l’Ecriture mérite d’être critiquée, mise en cause, parfois réfutée,
dans la mesure où elle permet d’accepter l’inacceptable, inacceptable dans
lequel j’inclus le négationnisme théologique (l’un des plus funestes, à mon
avis, fut de renier les racines juives du Christianisme.). Qu’en est-il alors
de la pertinence de notre témoignage ?
Dans la mesure où toute interprétation des Ecritures peut se
révéler triomphaliste, affirmant souvent avoir raison ou être sous
l’inspiration de l’Esprit - ce qui souvent est similaire chez certains
détenteurs d’un pouvoir ecclésial aussi dérisoire soit-il -, je ne vois pas en
quoi nous ne pourrions pas la considérer comme faible, dans la mesure où lesdits
détenteurs de ce pouvoir des plus dérisoires, ne prendraient pas en compte les
décombres laissés par la Chrétienté après Auschwitz. Qu’en est-il alors de la
validité de leur témoignage et éventuellement la validité de notre propre
témoignage ?
Certes si nous en revenons à l’encrage de notre sujet sur de
telles propositions, la famille « classique » dans laquelle peut se
reconnaître la famille « chrétienne » – famille qui bien entendu
dépasse le cadre « parents-enfants » et inclus non seulement les
grands-parents (auxquels le Code civil français donne des droits), les cousins,
etc.… -, est contestée dans sa structure traditionnelle par les problèmes posés
par les « familles recomposées » et les couples homosexuels avec ou sans
enfants. Je ne sais quel impact pourrait avoir la confrontation de telles
réalités avec d’autres structures familiales traditionnelles dans d’autres pays,
les choses n’étant déjà pas si simples en France… C’est ici que la conjugalité
revêt une importance certaine et peut être objet de tension, voire diviser la
réalité familiale.
Prenons donc pour exemple concret celui du « mariage
pour tous ». N’ayant aucune expérience du vécu en Afrique, en Océanie, en
Asie ou ailleurs, je suis particulièrement mal placé pour estimer que ma
conception « théologico-éthique » de la famille et de la conjugalité
puisse être une référence. Quant à ce que pourrait être mon témoignage… Mais
venons-en malgré tout à ce qui permet l’expression pratique de ce témoignage,
c’est-à-dire l’expression d’une « éthique chrétienne de sensibilité
réformée » spécifiquement impliquée dans le creuset de la société
française. La liberté de conscience étant toujours de mise dans nos églises
luthériennes et réformées, je voudrais exposer certaines réflexions relatives à
notre sujet. La question est de savoir si cette loi votée le sera toujours a minima ou, au contraire, trouvera une
extension avec l’approbation prochaine (ou dans quelques années) d’une loi sur
la procréation médicalement assistée (PMA) et sur la gestation pour autrui (GPA) que le gouvernement n’a pour
l’instant pas retenue (la question des mères porteuses serait alors posée avec
acuité). L’autre question à laquelle il nous faut répondre est : la loi
étant votée que faisons-nous ? L’Eglise protestante unie de France a
répondu en décidant d’ouvrir la bénédiction sur le mariage aux unions
homosexuelles. Mais auparavant quels sont les enjeux qui sous-tendront nos
décisions. Or pour pouvoir affronter un problème de société aussi complexe, il
est nécessaire d’y voir clair… Ce qui n’est pas acquis là où, sous prétexte de
démocratie revendiquée, on obscurcit à dessein le débat.
Notre société française se réclame
de la laïcité. Théoriquement notre témoignage devrait la prendre en compte.
N’oublions pas que la Réforme calvinienne a toujours milité pour la séparation
de l’église et de l’état. La laïcité, selon notre constitution, reconnaît
prioritairement le citoyen et non le Catholique, le Protestant, le Juif, le
Musulman ou l’Athée Cette laïcité « neutraliste » permet à tous
citoyens de s’exprimer religieusement ou non dans le cadre fixé par la loi. Ce
qui a permis au citoyen protestant, au citoyen juif, au citoyen athée de
pouvoir vivre son idéologie sans pression étatique d’une religion ou d’une
idéologie majoritaire dans la population. Pour ma part, j’estime que ce cadre
est nécessaire et suffisant et que toute velléité pour imposer une laïcité
« ouverte » ou « positive » est une aberration
politique : la laïcité se suffit à elle-même comme garantie de liberté de
culte ou d’idéologie et d’égalité devant la loi, qu’on appartienne à une
minorité religieuse (idéologique) ou non. Il faut aussi spécifier que, dans un
cadre fondamentalement laïque, seule la citoyenneté de l’individu est prise en
compte en priorité. Le religieux ou l’idéologique vient en second. La
conception de l’individu citoyen se définira donc dans la stricte égalité entre
les femmes et les hommes. On ne voit pas en quoi le mariage civil remettrait en
cause cette stricte égalité en droit en unissant deux femmes ou deux hommes.
Pour beaucoup d’opposants au mariage pour tous, j’en suis convaincu, il s’agit,
avant tout, d’un combat contre la laïcité.
C’est dans cet ensemble « république démocratique
laïque » que se sont façonnées nos lois, et, parmi elles, celle qui
définit le mariage civil, seul reconnu en France. Les mariages religieux ne le
sont pas et les ministres des cultes doivent se soumettre à cette règle sous
peine de poursuites judiciaires. Ce qui veut dire qu’un ministre du culte ne
peut marier deux individus religieusement s’ils n’ont pas contracté, au
préalable, le mariage civil. Ce problème n’existerait pas si le prêtre, par
exemple, était officier d’état civil comme en Angleterre. Mais notre république
ne reconnaît pas aux ministres du culte ce pouvoir. Seuls les élus du peuple
sont détenteurs de ce pouvoir par délégation. La République française établit
juridiquement la liberté et l’égalité jusque dans la définition laïque du
mariage. Le mariage n’est pas sous le regard de Dieu, il n’est pas béni, il est
contractuellement consenti devant témoins dont le premier est l’officier d’état
civil (maire ou élu municipal), représentant incontesté car élu de la
république démocratique et laïque. La question du mariage religieux ne se pose
pas pour les églises issues de la Réforme luthérienne et calviniste. L’affaire
est plus problématique pour le Catholicisme.
Enfin laisser aux maires le choix d’acter ou non un mariage
entre homosexuels, au nom de la « liberté de conscience » est des
plus ambigus dans la mesure où la liberté de conscience et de religion est
inscrite dans la Constitution mais, est-il ajouté, selon les limites imposées
par la Loi. Le mariage pour tous étant légalement adopté, il reste au maire
« objecteur de conscience », de laisser faire le boulot par un
adjoint ou, ce serait plus honnête, de démissionner. Ceci dit, un citoyen n’est
pas obligé de se présenter à la magistrature municipale si les lois votées ne
lui conviennent pas.
En revanche, il n’est pas facile d’être catholique quand il
s’agit de trancher, en France, sur un problème de société aussi
« délicat » que le mariage pour tous. Rappelons l’ambivalence du
Catholicisme qui peut être, selon les opportunités, un état, le Vatican, qui,
comme la Palestine et le Kosovo, a un statut à l’ONU d’ « état observateur
non membre », ou une religion. Même si cela ne fait pas trop plaisir à nos
« frères séparés », ils se retrouvent, en quelque sorte, avec une « double
nationalité » : française, avec ses lois républicaines, démocratiques
et laïques, et vaticane, avec son droit canon monarchiste absolu de droit
divin. Le problème se complique lorsque le droit canon doit céder le pas devant
le droit de la République : en France, un prêtre ne peut marier légalement
un couple s’il n’a pas en main, nous l’avons vu, l’attestation que ledit couple
est marié selon la loi républicaine. Pour la République française, le mariage
catholique n’a aucune valeur légale.
Comment alors le Catholicisme peut-il s’en sortir avec une
telle obligation ? En droit canon, il va falloir jouer sur une subtilité
juridique qui va distinguer le « licite », du
« légal » : le mariage républicain sera « licite », le
mariage catholique sera « légal ». Ainsi les non-catholiques
(protestants, athées, musulmans, bouddhistes ou autres), mariés selon la loi
républicaine, seront licitement mariés et non légalement selon la loi vaticane.
La République française ayant adopté en toute légalité le mariage pour tous,
celui-ci devient juridiquement licite pour le droit canon ou alors il faudrait
faire des lois (canoniques) d’exception, ce qui poserait de gros problèmes de
relations entre le Catholicisme français et la République. Il serait possible,
en l’occurrence, de brandir le spectre légal de la discrimination. Ceci dit, si
on estime que le Catholicisme est maître en sa demeure, fort bien, mais alors
que le Vatican, par l’intermédiaire de son chef d’état, le pape, ne se mêle pas
de nos affaires. Ce qui n’est pas aussi simple pour des évêques qui deviennent,
en la circonstance, des porte-parole politiques. Ajoutons les problèmes actuels
posés par l’ambassadeur envoyé par la République auprès du Vatican, lequel n’a
toujours pas été accepté par le pape, sous prétexte d’homosexualité revendiquée,
mais surtout à cause du « mariage pour tous », voté par la France,
qui met le droit canon en porte-à-faux ou le contraint à des circonvolutions
des plus hasardeuses.
Sur le plan religieux, le Catholicisme reconnaît le mariage
comme l’un de ses sept sacrements soumis au « sacrement essentiel »
de l’Eglise. En tant que tel, il est exclusivement le mariage d’un homme et
d’une femme. On peut repérer l’une des références fondatrices dans
l’interprétation d’Ephésiens 5/21 à 33, texte qui, après avoir insisté sur la soumission
de la femme à son mari et le devoir d’aimer sa femme comme soi-même, rappelle Genèse
2/24 : « C’est pourquoi l’homme quittera son
père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne seront qu’une seule
chair. Ce mystère (traduction
du grec mustérion en latin sacramentum qui a donné « sacrement »)
est
grand, moi je le dis en ce qui concerne Christ et l’Eglise. ».
Le mariage pour tous apparaît donc comme antinomique au mariage religieux.
Rappelons ici qu’il existe, dans l’Eglise catholique, la possibilité de bénir
une union sans passer par le mariage religieux.
Reste maintenant à balayer devant notre porte. Selon le mot
de Luther : « Le mariage est une affaire profane », les églises
luthériennes et réformées ne reconnaissent que le mariage civil. Si le mariage
religieux est totalement ignoré par nos églises, une bénédiction, en revanche,
est tout à fait admise. Jusqu’à une vingtaine d’années, on pouvait trouver,
dans la « liturgie verte » (liturgie en vogue, en ces temps
lointains, dans l’Eglise réformée de France) la référence à une
« indissolubilité du mariage » des plus ambiguës. Il n’en est,
heureusement, plus question. Non que l’indissolubilité soit une ineptie, mais
le fait de la mentionner avec des textes bibliques appropriés, dont le fameux Ephésiens
5/31-32, pouvait
introduire la confusion avec un mariage religieux qui ne voulait pas dire son
nom.
Ne reconnaissant donc aucune valeur
sacramentelle au mariage, les églises issues de la Réforme n’ont pas échappé
aux problèmes théologique et disciplinaire que pouvait poser la bénédiction
d’un mariage entre homosexuels. L’argument de la liberté de conscience
permettant de refuser ou d’accepter de bénir une telle union ne pouvait se
suffire à soi-même. Si l’objection de conscience d’un individu (pasteur ou
laïc), comme elle peut exister pour le refus du baptême des petits enfants,
était éventuellement opposée, la position claire des églises issues de la
Réforme dût être sérieusement argumentée, sous peine de débats interminables et
d’oppositions irréductibles. On me dira qu’ils existent déjà sur nombre de
sujets théologiques et éthiques. Certes, mais reconnaissons que nos églises se sont
retrouvées devant un sacré problème de société qu’elles n’avaient pas eu à
résoudre ou, tout au moins, accompagner depuis longtemps. C’est un fait de
reconnaître un (ou une) homosexuel(le) dans sa totalité et sa liberté humaines,
c’en est un autre que d’engager l’église dans un acte théologique et ecclésial
important qui n’aurait pas été débattu localement et en synode. Et ceci quelle
que soit notre position sur le mariage pour tous. Mais ont été clairement
adoptés la revendication des homosexuels au droit qui soit le même pour
tous, dont celui au mariage et la demande de sa bénédiction liturgique.
En guise de brève conclusion, nous
nous retrouvons devant un champ de réflexions ouvert que nous sommes encore
très loin d’avoir exploré. Nous pouvons, nous, y entrer ou demeurer avec ceux
qui veulent toujours croire que la terre est plate.
.
J.J. Demouveaux (juin 2015).
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