jeudi 10 décembre 2020

 VIVE LA LAICITE.

Le couvre-feu est levé le soir de Noël... La messe de minuit est sauvée. Le couvre-feu est maintenu pour la Nouvelle année... Le paganisme joyeux et festif est mis sous cloche. VIve la laïcité.

dimanche 3 novembre 2019

NOUVELLES INDULGENCES


L’église catholique met en œuvre les nouvelles indulgences.

Hier, aujourd’hui, demain, le client payait, paie ou paiera pour les prostitué(e)s. Aujourd’hui, l’église catholique paie les victimes de la « pédophilie curetonesque ». C'est même tarifé : ça ne dépassera pas une certaine somme. D’ailleurs, elle fait appel aux prédateurs à soutane pour contribuer au financement qui alimentera la cagnotte. Alléluia, Dieu pardonne par le fric : ce qui n’est pas nouveau. Vivent les nouvelles indulgences. Mediator, pédophilie religieuse même combat ? Pire! Ne serait-ce pas une manière de substituer la "justice" de l'église à celle de la République qui, seule, devrait  contraindre l'église à indemniser ? Les évêques n'en ont "cure"... C'est vraiment dégueulasse. (JJD - 03/11/2019).

lundi 9 septembre 2019

LE MYTHE DU DELUGE ET DU "NOË BABYLONIEN"


LE MYTHE DU DELUGE ET DU « NOË BABYLONIEN »

L’épopée de Gilgamesh et l’importance des songes.


Le rêve, lors du sommeil nocturne, fut longtemps (et toujours, pour certains) considéré comme mystérieux. Son côté marquant ou évanescent, son réalisme ou une prétendue futilité (les rêves ne sont jamais futiles), ce qu’on estime parfois être prémonitoire ou protecteur chez lui, lorsqu’on juge qu’il a été déterminant dans un moment particulier de l’existence, tout ceci est sujet à interprétation depuis la nuit des temps.

On estimait alors que les dieux intervenaient par les songes pour dicter leurs exigences, ou encore prévenir des hommes, choisis par eux, d’une future catastrophe. Mais, en fin de compte, il revenait aux seuls humains à savoir interpréter judicieusement ce qui leur était communiqué. L’exemple du «Noé babylonien», Um-Napishti (« celui à la vie longue »), est à ce sujet significatif. Son histoire est intégrée à l’épopée de Gilgamesh, et son origine remonte à plus de 2500 ans avant JC, soit à peu près 1600 ans avant les premiers écrits bibliques. Toutefois les documents mésopotamiens les plus anciens, qui en font référence, devraient être datés de 2000 à 1800 avant JC.

Gilgamesh est le roi légendaire d’Uruk, ville sumérienne située près de l’Euphrate (au sud de la Mésopotamie) [1]. Ce roi est particulièrement tyrannique [2] et ses sujets, des deux sexes, implorent les dieux de les en débarrasser. Les dieux décident, par l’intermédiaire d’Aruru, créatrice de l’humanité, de mettre sur son chemin Enkidu, sorte de héros velu et sauvage, qu’elle tirera de l’argile. Les habitants d’Uruk seront enfin tranquilles, mais demeureront sans roi. Or Enkidu, plutôt que de se battre avec Gilgamesh et le neutraliser, finit par se lier d’amitié avec lui, et les deux amis s’en vont vers diverses aventures.

Après maintes péripéties - notamment la destruction d’un taureau terrible qui a dévasté la ville d’Uruk : l’animal fabuleux est envoyé par la déesse Ishtar qui veut se venger, après que Gilgamesh eut repoussé ses avances -, les dieux estiment qu’il faut séparer les deux amis. Enkidu, fait alors le songe de sa fin prochaine ; il avertit Gilgamesh, après une succession de mauvais rêves, de la triste réalité du séjour des morts qu’il a pu visiter, « pays dont on ne revient pas, pays de ténèbres et royaume de la poussière dont les habitants ‘’ sont couverts, comme les oiseaux, d’un vêtement d’aile’’. » (G. CONTENAU : Le Déluge babylonien).

Enkidu meurt après douze jours d’agonie. Gilgamesh va alors chercher l’immortalité pour échapper aux affres du séjour des morts. Pour cela, il décide de retrouver son ancêtre Um-Napishti, seul homme ayant échappé au déluge et devenu immortel. Il finit par le retrouver et Um-Napishti permettra à Gilgamesh de parvenir à ses fins en lui révélant la présence d’une plante épineuse au fond des eaux, plante qui rend la jeunesse. Mais cette plante d’immortalité sera volée par un serpent [3] et Gilgamesh, après réflexion, reviendra à Uruk en acceptant, avec sagesse, sa condition humaine.

L’histoire du déluge babylonien met en scène des dieux terriblement inconséquents qui décident de provoquer la catastrophe et cette catastrophe va rapidement échapper à leur maîtrise. Um-Napishti sera sauvé grâce à un dieu, Ea, qui va indirectement lui communiquer la terrible décision divine par un songe qu’il va répercuter de manière à ce qu’il ne soit jamais rendu responsable de l’avoir divulguée. Alors que le « Noé babylonien » se repose dans sa maison, le dieu Ea va parler aux murs de la demeure qui répéteront, comme ils le pourront, ses paroles à Um-Napishti pendant son sommeil. La rencontre entre Gilgamesh et Um-Napishti, son ancêtre, est relatée par la tablette XI de l’épopée de Gilgamesh.

 

Le songe d’Um-Napishti.


Voici le texte de cette rencontre :

«Gilgamesh s’adressa au lointain Um-Napishti et lui parla ainsi : ‘’Je te regarde, Um-Napishti, et je ne te vois en rien différent de moi ; non, je ne te vois en rien différent de moi. Tu as un cœur parfait (comme moi) pour affronter les combats, et (comme moi), tu te reposes, couché sur le côté ou le dos. Comment as-tu pu te présenter dans l’assemblée des dieux, pour demander l’immortalité ?’’ Um-Napishti répondit à Gilgamesh et lui dit : ‘’Je veux te révéler, Gilgamesh, un secret, et la décision des dieux, je veux te la dire : Shuruppak, ville que tu connais et qui est située sur la rive de l’Euphrate, cette ville était vieille, lorsque les dieux se décidèrent en leur cœur à faire le déluge, eux les grands dieux !
[Parmi eux] : leur père, le dieu Anu ; leur conseiller, le preux dieu Enlil ; leur porte-trône, le dieu Ninurta ; leur chef le dieu Ennugi ; le seigneur aux yeux brillants, le dieu Ea, était aussi de leur conseil. Il répéta leur décision à la cloison de la maison : ‘’Cloison, cloison, clôture, clôture, cloison, écoute ! clôture, prête attention ! homme de Shuruppak, fils d’Ubar-Tutu, change de demeure, construis un vaisseau, abandonne les richesses et recherche la vie, laisse ce que tu possèdes et sauve ta vie ! Fais monter la semence de toute vie dans un bateau que toi tu auras construit. » (Dél. bab., p.91-92).

Um-Napishti suit les conseils indirects du dieu Ea en interprétant le rêve répercuté par les murs de sa maison, interprétation qui le conduit à construire un vaisseau. Puis vient le déluge, si terrifiant que les dieux eux-mêmes en ont peur :

« Les dieux s’accroupissent comme des chiens, ils se couchent… La déesse Ishtar se met à crier comme une femme en travail ; la souveraine des dieux à la belle voix pousse des cris : ‘’Qu’il se change en boue ce jour où j’ai proféré de mauvaises paroles dans l’assemblée des dieux ; pourquoi ai-je dit de mauvaises paroles dans l’assemblée des dieux ? Pourquoi ai-je décrété l’assaut pour la perte de mes gens ? Est-ce que moi, vraiment, j’ai enfanté mes gens pour que, comme les petits poissons, ils remplissent la mer ? Les dieux (…) pleurent avec elle ; les dieux… ils sont assis, pleurant, leurs lèvres sont fermées…’’ » (Dél. bab., p.94-95).

Enfin, les éléments déchaînés finissent par se calmer ; le vaisseau s’échoue sur une haute montagne (le mont Nizir) ; Um-Napishti envoie la colombe, puis l’hirondelle qui ne trouvent pas d’endroit où se poser et reviennent vers le bateau. Il envoie le corbeau qui trouve où se poser et ne revient pas. Um-Napishti sort du vaisseau et offre des sacrifices aux dieux.

 

L’exil éternel d’Um-Napishti.


Le dieu Enlil, conseiller du dieu Anu, vient pour prendre sa part des sacrifices. Il voit le bateau d’Um-Napishti échoué au sommet de la montagne et se met en colère : « Quelqu’un de vivant a échappé ; pas un seul homme ne doit échapper à cette destruction ! » Les dieux, qui paraissent ne pas beaucoup s’aimer entre eux, usent de la délation pour accuser Ea, responsable du salut d’Um-Napishti. Le dieu Ea se justifie ainsi en s’adressant à Enlil :

« Toi le sage parmi les dieux, le vaillant, comment, comment sans réfléchir as-tu pu causer le déluge ? Le pécheur, accable-le pour sa faute ; le coupable accable-le pour son crime, mais délivre-le avant qu’il soit anéanti ; retire ta main avant qu’il soit anéanti. Au lieu de créer le déluge, un lion [4] aurait pu venir pour diminuer le nombre des humains (et) ravager le pays. Pour moi, je n’ai pas révélé la décision des grands dieux ; le Très-Sage (Um-Napishti), je l’ai favorisé d’un songe, et il a compris ainsi la décision des grands dieux ; par suite, son affaire est son affaire [5](Dél. bab., p.96).

A la fin de cette harangue, Enlil monte à bord du bateau d’Um-Napishti, le fait sortir avec sa femme et les bénit en disant : « Autrefois Um-Napishti était un homme, maintenant Um-Napishti et sa femme seront semblables à nous, les dieux, qu’Um-Napishti habite bien loin à l’embouchure des fleuves. » (p.96).

Ainsi, d’après la justification du dieu Ea, le «Noé babylonien» aurait été capable d’interpréter un songe, envoyé de manière très « neutre » par Ea, songe qui le sauva du déluge et lui permit d’accéder à la vie éternelle. Et lorsqu’il devra se justifier devant l’assemblée des dieux, Ea se retranchera derrière la spécificité du songe qui laisse à l’homme le soin de faire une bonne ou une mauvaise interprétation de ce qu’il reçoit. Le côté confus du rêve est d’ailleurs entretenu par le fait que le dieu Ea s’adresse aux murs de la maison qui, selon les croyances du temps, non seulement abritait l’«âme» de ceux qui l’habitaient mais aussi la partageaient. La responsabilité de choix d’Um-Napishti est donc totale. La précision de la confection du navire qui le sauvera : ses mesures, le procédé de son calfatage, les végétaux et animaux à y embarquer, etc., même s’ils sont attribués à la prescience divine, sont, d’après Ea, de la seule interprétation ingénieuse du «Noé babylonien» ; il dit précisément : « Pour moi, je n’ai pas révélé la décision des grands dieux ; le Très-Sage (Um-Napishti), je l’ai favorisé d’un songe, et il a compris ainsi la décision des grands dieux ; par suite, son affaire est son affaire. » 

Or, pour ce qui est de l’épopée de Gilgamesh, mis à part la veulerie, la cruauté, l’irréflexion, l’irresponsabilité et les remords impuissants des dieux, il faut spécifier que le salut, conséquence de l’interprétation d’un rêve, est de la responsabilité d’un seul homme et de sa femme qui ont berné l’assemblée divine, excepté le dieu Ea. La vie éternelle leur est accordée, mais ils seront les seuls dans ce cas à l’expérimenter : l’humanité ne partagera jamais leur immortalité ; toutefois ils ne feront pas partie de l’assemblée des dieux et seront, en quelque sorte, exilés loin, à l’embouchure des fleuves qui ne peuvent être que le Tigre et l’Euphrate. Il faudra que Gilgamesh les cherche longtemps pour les retrouver. L’éternité, en la circonstance, est non seulement futile dans sa recherche mais aussi particulièrement répressive dans sa « réalité ».

Quant aux songes, ils sont de deux ordres : les premiers sans intervention divine et ils seront funestes pour leurs destinataires, c’est le cas pour Enkidu, l’homme sauvage (mauvais rêves prémonitoires qui décrivent le séjour des morts) ; les seconds avec intervention divine et ils seront salvateurs, c’est le cas pour Um-Napishti.

 

Importance de la Mésopotamie et parenté des écrits babyloniens et des écrits bibliques.


L’importance de la Mésopotamie, où fut conçue l’épopée de Gilgamesh, est fortement attestée dans la Bible : la première référence à la Mésopotamie est le second récit de la création dans lequel il est dit que deux des quatre bras du fleuve qui arrose le jardin d’Eden sont le Tigre et l’Euphrate (Genèse 2/14). Il est possible de mettre en parallèle cette référence et celle de l’embouchure des fleuves (qui sont le Tigre et l’Euphrate) où Um-Napishti et sa femme seront relégués dans leur immortalité.

[Référence aussi aux récits babyloniens de la création et notamment à la « Cosmogonie chaldéenne » qui nous apprend que :
« A l’origine il n’y avait rien que la mer. C’est alors que furent créés Babylone et son temple l’Esagil, demeure du dieu Marduk. Pour cela Marduk fit une claie de roseaux qu’il posa sur les eaux, il créa la terre meuble et l’y déposa ; sur le sol ainsi construit : ‘’pour faire habiter aux dieux une demeure agréable à leur cœur, il créa l’humanité, la déesse Aruru créa avec lui la semence de l’humanité’’. Puis il fit apparaître les animaux sauvages, les deux grands fleuves, le Tigre et l’Euphrate, la verdure, les animaux domestiques, les maisons, les villes, notamment Nippur (près du Tigre) et son temple l’Ekur, Erech et son temple l’Eanna. » (Dél. bab., p.44) ]

Abraham est originaire d’Ur en Chaldée, les élites d’Israël et de Juda seront emmenées en captivité à Babylone et les mages viennent d’Orient. La parenté de ces textes est indéniable, même s’ils divergent profondément pour ce qui est de leur conception de la divinité et du salut. Il est enfin intéressant de constater que ces récits babyloniens datant du troisième millénaire avant notre ère – et on peut imaginer que les traditions orales remontent bien plus haut dans le temps – ont déjà une conception assez subtile de la description du rêve et de son interprétation, même si le début d’une rédaction « élaborée » est généralement datée de 2000/1800 avant JC. Il est mis en valeur un rêve qui peut permettre la décision humaine malgré son côté fugitif et indirect : le dieu Ea se dédouane à bon compte en communiquant, aux murs de la maison d’Um-Napishti, la décision divine de déclencher la catastrophe du déluge : l’homme peut être attentif à ce que ces murs lui répercutent, ou l’ignorer. Il peut en faire une bonne ou une mauvaise interprétation. Comme le prétend le dieu Ea : c’est son affaire et c’est sa responsabilité. L’interprétation des rêves peut donc être catastrophique ou salvatrice.

[Une certaine psychanalyse a pris en compte les méthodes d’interprétation du type «clé des songes» (Antiquité, Orient), dans la mesure où « elles ne négligent  pas le contenu du rêve et lui reconnaissent une signification. En ce sens, Freud déclare se rattacher à cette tradition. Mais il fait porter tout l’accent sur l’insertion singulière du symbolisme dans la personne et, en ce sens là, sa méthode se détourne des clés des songes. » [6].]






[1] A une centaine de kilomètres au sud, nous avons la ville d’Ur d’où partit Abraham.
[2] Il faudrait lire : « sexuellement infatigable ».
[3] On pensait le serpent immortel parce que, par sa mue, il « change de peau ».
[4] Lion, auquel Ea fait succéder la panthère, la famine et la peste.
[5] « Cela le regarde ».
[6] Voir J. LAPLANCHE et J.B. PONTALIS sous la direction de D. LAGACHE : Vocabulaire de la psychanalyse ; PUF, 11ème édition, Paris 1992.

vendredi 6 septembre 2019

PMA ET GPA LA FRANCE À LA TRAÎNE COMME D'HABITUDE.






PMA ET GPA LA FRANCE A LA TRAÎNE COMME D'HABITUDE.



           
Quand le Pacs (Pacte civil de solidarité) fut voté en 1999 sous Jospin, nous avions fait une réunion à La Fraternité de Liévin et j’avais alors souligné que la porte était ouverte pour le mariage pour tous et, notamment, l’accès des couples homosexuels à un contrat que Luther estimait être « une affaire profane », (Calvin ayant alors suivi – en homme de Droit - le mouvement), tant et si bien que nous « ne marions pas » dans nos églises issues de la Réforme. Il était alors prévisible que la PMA (procréation médicalement assistée) et, qu’on le veuille ou non, la question de la GPA (gestation pour autrui) et sa résolution finiraient par être mises sur la table.


On peut s’indigner, s’opposer ou jouer les inquisiteurs « au petit pied », les vannes sont ouvertes. D’autant plus que la Belgique, l’Espagne, les Pays Bas, la Grande Bretagne (et ne parlons ni de l’Inde ni des Etats-Unis) proposent des « aides » plus ou moins tarifées. Comme d’habitude, nous avons 10 à 20 ans de retard. Mais, bien entendu, nous affirmons toujours à la face du monde que nous sommes un pays laïc, patrie des « Droits de l’Homme » et des libertés - "agrémenté" d'un Comité consultatif national d'éthique, à mon avis d'une inutilité criante, recyclant les courtisans ou les petits copains sur le retour ; et sans oublier un Conseil constitutionnel que beaucoup considèrent comme étant l'EHPAD des vieux roudoudous de la politique.

Que certains d’entre-nous puissent être choqués, scandalisés, cela ne fait guère de doute et c’est tout à fait compréhensible. Il n’en demeure pas moins que nous n’échapperons pas aux débats et aux décisions qui vont s’en suivre et nos églises issues de la Réforme devront sans nul doute prendre position. Ce sera loin d’être simple, d’autant plus que le débat sur la PMA (et ne nous cachons pas qu’il ouvrira sur la GPA), fera partie d’un débat plus vaste relatif à la « Bioéthique » (englobant une réflexion éthique complexe sur la biomédecine et les technosciences) duquel sera exclu le cas de l’euthanasie. Bref on risque de noyer le poisson.

À force de tout cloisonner pour éviter les éléments de réflexion les plus clivants et les possibilités de pratiques où l’humain concerné aurait alors le dernier mot, on permettra toujours aux plus riches d’aller voir ailleurs pour régler leurs problèmes.

JJD (septembre 2019).

           




vendredi 12 avril 2019

AH ! SI LA FRANCE...


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Ah ! Si la France pouvait être gouvernée comme une entreprise.

Certains responsables politiques (présidents de régions, de départements ; maires de grandes, moyennes et petites villes ; conseillers régionaux, généraux ; députés, sénateurs, ministres et surtout le président de la République) – souvent de droite ou « République en marche », plus rarement de gauche – estiment que la France, la région, le département, la ville devraient être dirigés comme on le fait d’une entreprise. Certains journalistes, adeptes de l’ultralibéralisme, n’en sont pas en reste : cela irait tellement mieux si la France des Gilets jaunes devenait l’« Entreprise France », si le citoyen devenait une « variable d’ajustement » comme dans n’importe quelle firme. Souvenons-nous de cette députée « République en marche », cheffe d’entreprise - nouvellement élue -, qui, se désolant que les émoluments d’un député fussent si peu élevés par rapport à ses propres revenus, se disait condamnée à « manger des nouilles tous les jours ». Elle gardera certainement la retraite que les citoyens lui verseront quand elle quittera la Chambre. Mépris du peuple, mépris du pauvre.

Certes, on pourrait en rire, mais très vite ce rire deviendrait grinçant. Beaucoup de nouveaux députés qui furent recrutés, ne l’oublions pas, sur curriculum vitae (CV), estiment que les cinq années passées à représenter la France ne sont qu’une parenthèse plus ou moins intéressante sur leur parcours professionnel, parenthèse qui, de toute manière, enrichira leur carnet d’adresse d’employeurs ou de financiers qu’ils ne cessent jamais d’être. Leur manière de fonctionner est la même que dans l’entreprise : le « patron » (le « premier de cordée ») décide de la stratégie, les employés qu’ils sont provisoirement sont là pour appliquer ce qui vient du haut. Quant au terrain, on ne le voit pas trop. D’où leur surprise lorsque ces manants de Français se rebellent et les interpellent souvent rudement.

Or tout ce qui est dit plus haut prouve une chose, c’est que vouloir diriger la France comme une entreprise est une imbécillité politique, car s’il y a bien un endroit peu démocratique, voire totalement antidémocratique, c’est bien l’entreprise… Sinon le Droit du Travail n’aurait jamais défini la notion de « lien de subordination juridique », lequel, constaté, oblige le travailleur à effectuer ce qu’il lui est demandé, mais aussi lui permet d’être défendu en cas d’abus. Le citoyen, lui, peut contester, refuser, se révolter tout en étant défendu politiquement. Méfions-nous donc qu’en cas d’abus de pouvoir le citoyen n’ait plus de défenseurs politiques : ceux-ci devenus minoritaires jusqu’à être inaudibles. Il ne lui reste alors que la révolte dure et, en face, la police et l’armée. Je continue donc de penser que Macron a une pensée politique de droite extrême.

Jean-Jacques Demouveaux (12/04/2019). 


lundi 18 mars 2019

REFLEXION THEOLOGIQUE SUR LA NOTION DE PEUPLE.


REFLEXION THEOLOGIQUE SUR LA NOTION DE PEUPLE.
           

            Disons d'emblée que cette manière d'articuler "Loi, Peuple, Révolution" est anti-paulinienne.
Paul a une idéologie de l'obéissance et de la soumission qui s'articule sur le mythe fondateur de la seule souveraineté de Dieu, souveraineté que sont en droit de représenter les autorités, même tyranniques, qu'il a plu au Dieu souverain de placer pour limiter les exactions de la déchéance humaine.
           
            Afin de justifier la place du tyran et l'obéissance qu'on lui doit, il faut que la Loi ne puisse pas signifier une quelconque libération. Paul s'y emploie en lui donnant les seules armes de la condamnation à mort du pécheur. Comme tous les hommes ont péché, ils sont tous condamnés à mort. La peuple, incarné dans sa notion par Israël, ne peut donc prétendre revendiquer une justice. Elle ne pourra lui être accordée que par grâce, c'est-à-dire après condamnation et de façon tout à fait régalienne. Cette grâce est coûteuse pour Dieu puisqu'elle passe par la Croix. La souffrance humaine ne peut donc pas être un alibi permettant la revendication de justice : Dieu a plus souffert que tous.
            Certes l'idéologie de la puissance et du pouvoir du tyran, auquel il fallait se soumettre, était à considérer de manière temporaire. La venue du Christ remettrait toutes choses à leur place.
            Ainsi donc les notions de DROIT et de PEUPLE ne sont pas pauliniennes : la Loi fait place à la grâce, le peuple fait place à une entité où il n'y aura plus ni Juifs ni Grecs, ni hommes ni femmes, ni esclaves ni homme libres. Cette entité peut être reconnue, par l'homme sauvé, comme son appartenance à un corps, celui du Christ dont lui-même, que Paul n'a vu que ravi par l'extase, est la tête toute-puissante. Les premiers pas vers la totalité et l'abstraction de la puissance sont désormais faits.
            Comment nous est-il possible de concilier la vision totalitaire de Paul et la volonté démocratique du peuple et de plus du peuple souverain ? Car nos Eglises revendiquent une forte appartenance à la pensée paulinienne. Il faut, je crois, abandonner l'idée de toute conciliation. J'énumérerai donc les raisons et positions théologiques qui me conduisent à un refus de toute conciliation. Elles pourront être objet de débat.

            a) Nos conceptions de la référence à l'Ecriture (je parle en Réformé) sont souvent les essais, plus ou moins brillants mais toujours ratés, de justifications ecclésiales qui estiment avoir raison quant à l'harmonie d'une histoire du Salut.
            b) J'estime qu'une tradition prophétique, mise en lumière par certains penseurs juifs, est totalement ignorée des Eglises : il s'agit de la "théologie" du procès (qui n’a rien à voir avec la théologie anglo-saxone du process) : Dieu se tient debout devant son peuple qui, lui aussi, se tient debout et il en appelle au Droit et à la Justice. Le peuple peut contester l'action de Dieu : il en a le droit et il lui arrive d'avoir parfois raison. Cette contestation est légitime, elle est demande d'explication de la part du Créateur mais aussi demande d'explication de la part de celui qui a été créé à son image. Elle attend, de part et d'autres, des réponses claires.
            c) Cette "théologie" prophétique du procès peut nous conduire à contester les Ecritures (Luther et Calvin ont jugé certains textes bibliques irrecevables). J'estime pouvoir, en conscience, refuser l'idéologie paulinienne comme fondement théologique de l'Eglise. J'entre en contestation avec lui et refuse la reconnaissance que l'Eglise a fait de ses textes en les jugeant Parole de Dieu. Mieux, j'ai le droit de dire qu'il s'est trompé et a trompé lourdement son monde. Ce qui ne veut pas dire que je considère Paul comme "hors de l'Eglise", mais j'estime qu'il est dans l'Eglise de manière trop envahissante puisqu'il en fait la seule société du salut, contrairement d'ailleurs à la conception judaïque du salut.
            d) J'estime que c'est Paul qui a fondé un Christianisme qui au cours des siècles est devenu de plus en plus tyrannique. Il a fermé la porte, pour longtemps, par "précipitation eschatologique", à toute expression revendicative de la Justice propre aux peuples. L'Eglise catholique romaine, pour ne pas se couper du peuple, a jouer du syncrétisme religieux et de la superstition. Le Protestantisme réformé s'est coupé du peuple en refusant toute image : Dieu est devenu un concept et la revendication qu'il posait pour être reconnu peuple de la Parole a tourné à l'abstraction à cause, justement, de la seule Parole.
            Si l'on prétend qu'Israël n' “ imageait ” pas non plus son Dieu, il ne faut pas oublier qu'Israël était un peuple avec sa Loi. La relation entre Dieu est lui se concrétisait dans le don (esprit) et l'interprétation (parole) de cette Loi.
            d) Je suis convaincu que la "théologie" la plus adaptée à nos rencontres avec les peuples marginalisés, maltraités ou dans la misère ne peut être qu'une “ théologie de l'absence de Dieu ”. Cette théologie est attestée dans l'Ancien (Esaïe) et le Nouveau Testaments (Jésus et les paraboles du roi parti en voyage). Elle a le mérite 1) de ne pas faire entrer en compétition "les souffrances du Christ mort, ressuscité et présent dans l'Eglise" avec les souffrances de femmes, d'enfants battus et d'humains torturés ; 2) de laisser aux hommes l'entière responsabilité des actes bons ou mauvais envers leurs semblables ; 3) de ne pas parler d'un amour divin qui s'exerce sur tout humain, alors que pour certains les seules relations avec l'autre sont les injures et les coups ; 4) de ne pas présupposer l'existence de Dieu comme passage obligé pour ceux qui reviennent de toute espérance ; 5) de ne pas imposer une "présence évangélique" - qui n'est en fait que notre présence - comme rayonnement d'un Dieu qu'on dit présent et ceci contre toute apparence, j'allais dire contre toute réalité.
            e) Le peuple de nos Fraternités est un peuple qui revendique la justice. Il faut accepter de ne pas être une communauté porteuse, ou un ordre missionnaire. Une communauté et un ordre ont leurs propres règles d'obéissance et de soumission. Ces règles finiront toujours par réduire au silence toute revendication de Justice car la communauté et l'ordre s'en estimeront les meilleurs garants ou les vrais porteurs.
            f) Pour cela revenons-en à la conception de l'Eglise selon Calvin, laquelle est de Droit. C'est l'assemblée juridiquement convoquée, contractuelle entre des hommes et des femmes faillibles. Or la structure qui se réclame du droit ne s'estime pas parfaite, elle peut se tromper et compte alors sur la Loi pour que les femmes et les hommes puissent librement s'exprimer et vivre. En cela notre ecclésiologie juge le fonctionnement de la société civile comme déterminant pour sa propre existence. L'Eglise selon Calvin peut être comprise comme une église politique, une église citoyenne, bref une église laïque.
            On le voit, les enjeux sont de taille et ce n'est pas pour rien que l'extrême droite a toujours considéré les Protestants Réformés comme des demi-juifs.

3- EN GUISE DE CONCLUSION.

            Cette conclusion n'en sera pas à proprement parler une, mais une suite de convictions qui peuvent et doivent être débattues.
            N'étant pas sociologue, je ne veux en aucun cas jouer les apprentis sorciers en la matière, mais ma conception de la citoyenneté refuse de laisser aux seuls sociologues le fait de l'analyse sociale. Voici les convictions qui sont les miennes :
            1) La ligne de fracture sociale, qui existait il y a encore 30 ans entre le bourgeois et l'ouvrier, s'est irrémédiablement constituée entre un monde qui vit de manière précaire, qui peut glisser rapidement vers une forme de quart-monde, et le reste.
            2) J'estime qu'il est difficile de séparer cette précarité de la forme quart-monde précitée : le glissement de l'une à l'autre (dans les deux sens) est rapide et, surtout, il est difficile, voire actuellement impossible, pour celui qui vient de cette forme de quart-monde pour entrer dans la précarité, de sortir de cette précarité.
            J'ajoute que nous manquons cruellement d'analyse sur ce quart-monde qui se constitue sur une prospérité industrielle et économique passée. Nous ne pouvons pas avoir des approches pertinentes de ce quart-monde avec les seuls outils d'analyse qui ne prennent en compte que le quart-monde constitué sur une misère industrielle et économique (Amérique Centrale ou du Sud, quart-monde constitué d'immigrés, de migrants ou d'exclus depuis plusieurs générations).
            3) Le manque de formation est souvent invoqué, mais il serait politiquement courageux de dire que le travail devient une denrée rare. N'y a-t-il pas à faire pour la préservation et l'évolution démocratique du tissu social ? Ce pourrait être mobilisateur. On ne parlerait plus, dans cette perspective, en termes de "productivité" et de "rentabilité" et on s'engagerait, enfin, dans une action à long terme.
            4) Action à long terme veut dire partenariat avec les pouvoirs publics et les collectivités locales. Ce qui implique, de notre part, une clarification de nos objectifs et, surtout, les moyens de poursuivre ces objectifs en toute liberté. Les enjeux à court et moyen termes ne sont, évidemment, pas les mêmes pour les politiques que pour nous. Nous bénéficions du temps de poser nos actions et ne sommes pas tenus par un calendrier électoral.
            De plus, je ne veux pas ignorer différence de traitement entre ma situation à Liévin - où le Député-maire et la Vice-présidente du Conseil général du Pas-de-Calais sont attentifs au travail fait par LA FRATERNITE et l'aide qu'ils nous apportent permet d'envisager ce travail à long terme - et ceux d'entre-vous qui êtes sur Paris, ou dans une ville de droite,  où vous pouvez constater et vivre les dégâts fait par des refus politiciens de toute politique sociale proposés par des gens "qui osent encore penser ... gauche".
            5) Je pense que le principe même des grandes associations caritatives, des "industries de charité", est aujourd'hui caduc. D'une part, elles reproduisent, par le fait même d'être des "industries", les phénomènes d'exclusion qu'elles voudraient endiguer : elles ont leurs bureaux, leurs "fonctionnaires" ; elles exigent des curriculum vite, elles mettent ceux qu'elles sont sensées accueillir dans des catégories que le "pauvre", le RMIste ou le chômeur de longue durée subissent habituellement. Or c'est ce système qui a exclu et exclut de la vie sociale un nombre  toujours plus croissant de nos concitoyens.
            Elles reproduisent aussi les incapacités ministérielles, de par leur taille, d'être à une écoute réelle de ce qui se passe sur le terrain. En fait, ces grosses associations sont, dans leur démarche "industrialiste" lourde, en retard d'un siècle. Elles espèrent pouvoir régler globalement des urgences extrêmement mouvantes, diverses, émiettées, individualisées, souvent cachées.
Toutefois ne nous leurrons pas, sauf à de rares exceptions, elles continueront à être les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics et draineront un argent fou en subventions de toute sorte, qu'elles engloutiront pour une efficacité, sur le terrain, inversement proportionnelle à l'argent dépensé. Pourquoi ? Parce qu'elles sont structurellement la reproduction de leurs interlocuteurs et qu'il vaut mieux, pour ces interlocuteurs, traiter avec ceux qui leur ressemblent quant à la logique, aux approches et, souvent, à la carence désolante d'analyse de fond.
            6) Enfin, l'avenir semble devoir revenir au réseau d'associations de solidarité à taille humaine où il existe une vraie convivialité et une entraide sans prétention, mais précise et adaptée aux urgences rencontrées localement. Elles ne recevront certainement pas beaucoup de financements, mais elles ne seront pas soumises aux pressions qui les feront insensiblement changer leur manière d'être, jusqu'à perdre de vue leurs objectifs initiaux.

                                   
J.J. DEMOUVEAUX (Le 17/09/1992).

samedi 15 décembre 2018

PHILON LE JUIF ET L'ANTISEMITISME A ALEXANDRIE


Philon le Juif et l'antisémitisme à Alexandrie.


1) Philon d’Alexandrie.


Qui était donc Philon d’Alexandrie ? Nous avons peu de renseignements sur sa vie. L’historien juif du 1er siècle, Flavius Josèphe, mentionne une ambassade qu’il aurait menée sous Caligula et le considère comme un homme extrêmement cultivé et noble. Les écrivains chrétiens des 2ème et 3ème siècles, Clément d’Alexandrie et Origène (né aussi à Alexandrie) en parlent avec déférence mais ne nous apprennent rien sur lui.

Jeunesse de Philon.

Notre connaissance de sa biographie a été possible grâce à des chercheurs qui ont su retrouver dans ses œuvres des faits que l’on pouvait admettre comme probants. Philon serait né vers 15 (ou 12 ?) avant Jésus-Christ, d’une famille juive d’origine sacerdotale qui tient un rang élevé dans la riche société de la communauté juive d’Alexandrie. Son frère Alexandre Lysimaque, grand financier fut intendant de la deuxième fille d’Antoine, puis nommé haut fonctionnaire. Son neveu Tibère Alexandre, fils d’Alexandre Lysimaque, fut procurateur de Judée et devint ensuite préfet d’Egypte. Mais, entre-temps, il abjura le Judaïsme.

Philon fut, dès sa jeunesse, passionné par les études. Il est évident que la culture grecque le marqua beaucoup : il en admirait la remarquable élévation. Il s’adonna à la philosophie et acquit une connaissance approfondie de Platon, des Stoïciens, des Cyniques et des Néo-pythagoriciens d’Egypte. Les sciences mathématiques firent partie d’une éducation préalable à sa connaissance philosophique. Puis, selon les principes de la pensée grecque, il étudia la littérature, le théâtre, la poésie ; il cite Homère, Euripide et Hésiode. Il étudiera aussi la médecine et aura des relations avec la secte des Thérapeutes, proche des Esséniens (De Vita Contemplativa).

Mais cette extraordinaire culture hellénistique ne sera, pour lui, qu’une introduction à l’étude du Pentateuque, la Loi de Moïse. Elle lui permettra d’argumenter de manière redoutable pour expliciter la Loi mosaïque et en affirmer l’universalité, malgré le milieu païen souvent hostile. Il usera, dans son enseignement, de la méthode allégorique avec originalité.

Cette méthode se veut d’échapper aux interprétations littérales et historiques des textes bibliques pour en proposer une interprétation symbolique, plus proche, croyait-on, de la vérité révélée. Les penseurs chrétiens de l’école d’Alexandrie, comme Origène, s’en inspireront. La pensée de Philon s’opposera fortement à celle de l’école pharisienne de Palestine dont il semble qu’il existait certains cercles à Alexandrie. On ne sait qui furent ses maîtres grecs et juifs et s’il étudia exclusivement à Alexandrie, mais il est possible qu’il complétât son instruction en voyageant en Egypte, peut-être à Athènes ou encore à Rome où son frère se rendait fréquemment. Il est encore possible qu’avant de commencer son œuvre, Philon voyageât longuement en Palestine et particulièrement à Jérusalem. En tout cas certains de ses ouvrages y font allusion. Y apprit-il l’hébreu ? C’est probable. Mais bien qu’il fût attiré par une vie mystique faite de méditation, cela ne l’empêcha aucunement de s’occuper des affaires publiques et, comme nous le verrons, défendre ses coreligionnaires persécutés.

Début des persécutions des Juifs à Alexandrie.

En 14 après JC, à la mort d’Auguste, Tibère est empereur et Philon a une trentaine d’années et a déjà composé une œuvre conséquente. Mais pendant trois ou quatre ans il va se voir contraint, peut-être à cause de son rang, de s’occuper des affaires publiques. Le maître alexandrin dira avoir été précipité dans la « grande mer des soucis politiques » par des gens mal intentionnés, lesquels voulaient l’« arracher aux jouissances des vérités divines et lui crever les yeux de l’âme ». Dès 19, Séjan - préfet du prétoire sous Tibère et favori de l’empereur - persécute les Juifs de Rome et les répercussions de ces persécutions semblent atteindre l’ensemble de la diaspora juive et, particulièrement, Alexandrie. Philon écrira alors : « Le peuple juif est conciliant et ami de ses alliés et des hommes à intentions paisibles ; mais il n’est pas méprisable, au point de céder par lâcheté à ceux qui commandent des entreprises injustes. » (De Praemis et Poenis). Il appelle alors le peuple juif à la fidélité, en affirmant que ces persécutions sont un avertissement divin face à ses manquements flagrants. Mais il ajoute que ceux qui sont « les auteurs et qui raillent les gémissements des Juifs, ne s’aperçoivent pas que cet abaissement est temporaire, et sera suivi d’un relèvement et d’une nouvelle prospérité. » (De Execrationibus).

En 31, Séjan est destitué et étranglé par Tibère pour avoir fomenté un complot contre son protecteur. En 32, Flaccus est nommé préfet d’Egypte et la communauté juive semble vivre en paix pendant 5 ans. En 37, Caligula accède au pouvoir et, dit Philon : « Après quelques temps de bonheur, il voulut se faire Dieu. » (De legatio ad Gaium). On érigea sa statue dans la plupart des temples et lieux cultuels païens de l’empire. Les Juifs de Palestine et de la Diaspora, pensant que le tour du Temple et des synagogues viendrait, s’en émurent et s’opposèrent aux prétentions de Caligula.

2) Troubles antisémites à Alexandrie ; l’ambassade des Juifs à Rome.


Puis, dès 38, les choses se gâtent à Alexandrie. Des troubles sont fomentés par des agitateurs antisémites, très certainement en relation avec la représentation égyptienne en cour auprès de Caligula. A la tête de ces troubles on retrouve un dénommé Apion, contre lequel Flavius Josèphe rédigera un traité. Ces troubles sont attisés dans les lieux originels de prédilection, tels les théâtres et les gymnases. Le roi juif Agrippa 1er, en visite à Alexandrie, est insulté par la foule et des acteurs plus que douteux le singent (In Flaccum). Philon nous apprend à quelle explosion de haine les Juifs d’Alexandrie doivent, en ce temps, faire face : pillage de leurs maisons, constitution d’un ghetto dans lequel ils doivent être rapidement enfermés[1], destruction des synagogues ou érection à l’intérieur des statues de l’empereur. Flaccus Avilus, le préfet d’Egypte, laisse faire, ayant senti le vent tourner avec l’arrivée au pouvoir de Caligula. « Lorsqu’un chef, dira Philon, cesse de pouvoir commander, nécessairement ses sujets se déchaînent et surtout ceux qui, de nature, se soulèvent à n’importe quel propos ; (…) le gouvernant devient sujet, les sujets gouvernants. » (In Flaccum). En 39, Flaccus est destitué et supplicié : Caligula le soupçonnait d’intriguer. Mais la situation des Juifs ne s’arrange pas pour autant : on leur interdit l’accès aux synagogues et ils sont déchus de leurs droits civiques.

Les Juifs d’Alexandrie se constituent alors en ambassade, dont Philon prend la tête, pour rencontrer Caligula. Un parti grec antisémite, ayant pour chef de file Apion, fait aussi le voyage à Rome. Philon, déjà âgé, et la légation juive essaient de rencontrer Caligula : ils le suivent de Rome à Dicéarchie, puis de villa en villa en attendant d’être convoqués. Flavius Josèphe rapporte que Philon ne devait essuyer que des outrages (« Antiquité judaïque », XVIII, 260) [2].

3) Les dernières exactions de Caligula. Le statut des Juifs alexandrins sous Claude.


Conseillé par l’entourage égyptien bien en cour, ennemi des Juifs, Caligula envisage d’ériger sa statue dans le temple de Jérusalem. Il faudra l’intervention du roi juif Agrippa pour que Caligula semble renoncer pour un temps à son projet. Mais il récidive bientôt, en ordonnant la construction d’une statue à Rome qu’il aurait l’intention de transporter à Jérusalem. Il projetait de l’élever dans le Temple en faisant coïncider son érection avec la date des cérémonies de sa déification qu’il pensait présider à Alexandrie. Ce sera la soudaine nouvelle de la mort de Caligula (en 41) qui, d’après Flavius Josèphe, empêchera le massacre des Juifs, prêts à se révolter contre les prétentions de l’Empereur. En 41, Claude est empereur et, plus «nuancé» dans son antisémitisme, il interdit aux Grecs de persécuter les Juifs. Toutefois, il rappelle à ces derniers qu’ils ne sont plus citoyens d’Alexandrie et ne peuvent donc prétendre à la citoyenneté romaine. C’est ce même Claude qui chassera les Juifs de Rome en 49.

Il nous est impossible de préciser la date de la mort de Philon. On présume qu’il écrivit ses dernières œuvres après la mort de Caligula, donc après 41. On avance qu’il serait mort vers 53, vers l’âge de 65-68 ans.  

Cette brève biographie de Philon d’Alexandrie permet de rendre hommage à un grand penseur juif dont les écrits ont certainement influencé les Chrétiens alexandrins et aussi de préciser le contexte dans lequel va naître l’Eglise alexandrine dont on pense qu’elle fut l’une des plus anciennes. Il ne faut pas oublier que les Judéo-chrétiens trouvaient leur place dans la synagogue et qu’ils durent, eux aussi, subir les actes antisémites perpétrés par les Grecs. Nous voyons que ces actes barbares ne sont pas l’apanage du 20ème siècle et qu’ils ressemblent à s’y méprendre aux actes méprisables perpétrés par toutes idéologies antisémites qu’elles soient anciennes ou modernes. Enfin, l’Apôtre Paul et Apollos furent à peu près contemporains de Philon, en ces temps troublés, et ils commencèrent leur ministère quelques années après sa mort. Paul devait avoir à peu près 36 ans à la mort de Caligula et il approchait la cinquantaine à la mort de Philon. J’ai supposé, plus haut, qu’Apollos fut élève de grand maître juif d’Alexandrie. Quant à l’auteur de l’Epître aux Hébreux, certaines de ses idées rejoignent celles de Philon. C’est en tant que porteur de cette pensée judéo-hellénistique, reprise et élargie par la pensée des chrétiens d’Alexandrie, que cette épître est vraiment originale.

4) Bref exposé de la pensée de Philon d’Alexandrie.


            La pensée de Philon est non seulement complexe, mais influence, nous le verrons, une partie du Second Testament. Pour Philon, il est impossible de connaître Dieu. L’homme, par sa chute, est limité à sa petite sphère terrestre. Mais comment en est-on arrivé là ? Au commencement Dieu, dans sa sagesse parfaite, va créer le monde. Ce monde, Philon l’appelle, selon les principes stoïciens, la Grande cité et la construction de cette Grande cité est aussi parfaite que la sagesse de Dieu. Mais l’homme chute et cette chute pervertira le «quartier» du monde qu’est la terre et elle déstabilisera le milieu terrestre.

a) Loi, justice et vertus  dans la pensée de Philon.


Pour remettre de l’ordre dans ce chaos, il faudra une loi qui s’applique non seulement à la terre mais aussi à l’ensemble du monde, à la Grande cité. C’est la Loi qu’écrira Moïse, le sage accompli. Mais avant que Moïse ne la compile, elle existait à travers des personnages exemplaires, vraies lois vivantes : Abraham, Isaac, Jacob et Joseph. Ces hommes, pour Philon, ont atteint la perfection par l’étude et la pratique et ils se sont réalisés comme la vertu voulue par Dieu. Seul Joseph serait un peu inférieur aux trois autres patriarches car il représente la politique et la nécessité des responsabilités que doit prendre le sage envers la société humaine [3]. Après ces lois vivantes, lois naturelles perçues par le seul exemple, Moïse va universaliser la Loi divine en la rédigeant. Et Israël en sera le peuple témoin (élu). Les Dix commandements (ou Décalogue) apparaissent comme le fondement de cette Loi et Philon rangera, sous chaque commandement, toutes les prescriptions dispersées dans le Pentateuque. Philon pense que les cinq vertus chères aux stoïciens : la piété, la sagesse, la justice, le courage et la tempérance, sont traitées dans la Loi mosaïque et contenues, tout entières, dans le Décalogue.

Quant à la justice et au courage, ils sont aussi dans la loi de Moïse mais ne forment pas de codes précis. Nous l’avons dit, Philon mettra sous la rubrique justice, le gouvernement en temps de paix et, sous celle du courage, le gouvernement en temps de guerre. Ceci dit, Philon en aurait fini de sa réflexion, si la chute de l’homme n’avait pas dégradé la terre en y mettant le désordre et le mal. Il proclame alors que lorsque les Juifs reviendront à leur fidélité à Dieu, celui-ci leur enverra une «forme surhumaine» qui rassemblera son peuple de la dispersion, le délivrera, lui donnera l’empire sur un monde enfin soumis à la loi divine. Le monde, ainsi restauré des conséquences de la chute, retournera à l’état parfait qui est celui de l’image de Dieu.

b) Le salut dans la pensée de Philon.


La vision allégorique de Philon est un peu complexe à décrypter. D’après son enseignement, l’homme terrestre symbolise l’union de l’intelligence et des sens au niveau du vécu. Cette union compose l’âme de l’individu. De plus, Dieu a mis en l’homme une semence de vertu indestructible, semence qui va croître jusqu’à ce que se forme la justice dans l’âme humaine et jusqu’à ce que se développe la sagesse comme plénitude libératrice de l’âme. Or la sagesse est l’attribut essentiel de Dieu. Philon appelle cette sagesse le logos ou la « parole » (certains traduisent logos par « raison » - E. BREHIER). Et ce qui caractérise le logos, c’est l’unité. L’Evangile de Jean n’est pas loin… Ainsi, grâce au logos - semence indestructible de Dieu en l’homme - cet homme, qui était pour lui-même un inconnu à cause de la chute, va pouvoir développer l’exercice vertueux de la justice. Il sera, dès lors, possible à la sagesse, semence du Dieu un, de développer la connaissance qu’il pourra avoir de lui-même. Et cette connaissance de lui-même permet de retrouver une image de Dieu libérée et réalisée. Ce qui pour Philon est liberté et vie réelle, engendrées par la sagesse divine, pouvait être perçu, par certains Chrétiens alexandrins, comme le salut.

Il faut admettre que cette conception fera problème dans l’Eglise primitive et on comprend pourquoi l’Apôtre Paul montera sur ses grands chevaux : pour lui, le fondement de la foi et la réalité du salut, c’est Jésus-Christ et non la sagesse. Or il pourrait sembler qu’Apollos ait laissé percevoir, dans son enseignement, une conception du logos qui fasse de Jésus-Christ l’incarnation de la sagesse et que ses disciples n’aient retenu, de cette conception, qu’une sagesse, tout humaine, permettant de vivre une liberté de large interprétation spirituelle et éthique. Peut-on penser, en l’occurrence, que Paul ait connu la pensée de Philon ? Nous mésestimons, hélas, la circulation des idées qui pouvait avoir cours au premier siècle de notre ère. Le brassage des croyances, des philosophies et des éthiques entre l’Orient et l’Occident était foisonnant. Pour affirmer ses idées et convaincre, Paul, lui-même, s’est servi des idées juives, grecques, gnostiques, et autres, mais il les a adaptées à la particularité de son message. Je ne vois pas pourquoi, il n’aurait pas pris et adapté certaines idées philoniennes, connues dans le milieu juif hellénistique, pour étayer son argumentation. En tout cas, ces idées ne semblent pas lui être étrangères.

Toutefois, il me semble que Paul ne fut pas très à l'aise face à la pensée philonienne et ses interprétations christianisantes  que pouvait en faire l'alexandrin Apollos. Il semble, d'ailleurs, que les deux hommes se sont soigneusement évités et Paul, grand voyageur s'il en fut, ne mit jamais les pieds à Alexandrie et, à notre connaissance, il ne les mit jamais en Afrique.




[1] Les Juifs d’Alexandrie sont molestés, voire massacrés s’ils n’ont pas été assez rapides pour y entrer.
[2] Voir aussi Eusèbe de Césarée  « Histoire ecclésiastique », II, V, 5.
[3] Complications politiques que vécut Philon.